Comment être original lorsqu’un tel tremblement de terre affecte l’ensemble de la planète, peut-être faudra-t-il la rebaptiser «planète Obama» ? Sur un point, l’unanimité s’est faite, depuis John McCain jusqu’à l’extrême gauche européenne, le péché ségrégationniste de l’Amérique a enfin été purgé. C’est la raison pour laquelle, au-delà de tout ce que l’on peut penser d’Obama, de l’homme, du programme, ou plutôt de son absence, on ne peut que rendre hommage au courage de l’homme politique et au talent exceptionnel de l’orateur qui aura permis ce miracle. Mais à condition toutefois d’être équitable : l’ascension d’un président noir à la tête des États-Unis a été voulue tout d’abord par une pléiade de scénaristes hollywoodiens et blancs, qui n’ont cessé depuis vingt ans de confier aux Noirs des rôles de chefs, de responsables, de pères, en un mot de leur faire occuper la place symbolique que la société américaine profonde n’avait cessé de leur dénier.
Ensuite sont venus des conservateurs éclairés qui, conscients de l’ampleur du problème, ne voulaient pas se voir imposer, par un communautarisme régressif des démagogues de rue, des tribuns antisémites à la Jesse Jackson, des intellectuels et artistes haineux à la manière du cinéaste Spike Lee ou de l’historien de Harvard Cornell West.
Pour conjurer la montée en puissance de ces chevaliers à la triste figure, il valait mieux et vite sélectionner des talents noirs exceptionnels dont l’ascension serait due à un mérite, certes reconnu un peu plus précocement. Ce sont à des chefs militaires, puis à des politiques tels que Kissinger et Carlucci, le sauveur de la démocratie portugaise, et de Soares en 1974, que l’on doit la promotion de Colin Powell, d’abord à la tête des armées américaines, puis, par la volonté du clan Bush unanime, à la tête de sa diplomatie en l’an 2000, où il remporta malgré tout quelques succès exemplaires au Pakistan, en Chine et en Corée. Puis vint Condie Rice, dont Bush voulut faire le second chef de sa diplomatie et qui étonna le monde par son mélange de charme, de fermeté et de sagesse au département d’État. La même sagacité s’est retrouvée dans le secteur privé, où de très grandes sociétés comme Time Warner, American Express, Merrill Lynch ont tour à tour vu des Africains américains les diriger, dans l’ensemble à la satisfaction générale.
Pour mettre les points sur les i, on ne peut pas effacer les mérites de l’aile progressiste du Parti républicain, de George W. Bush en particulier, quand c’est l’organisation de ce courant ascensionnel qui aura permis, in fine, à Obama de déployer son exceptionnel talent. La présidence Obama s’ouvre dans un climat détestable, avec des problèmes financiers et stratégiques non résolus et de grande ampleur. Mais est-ce une raison pour, sans grande noblesse ni intense charité, s’en prendre à George W. Bush ainsi qu’on le fait aujourd’hui. L’ancien président m’apparaît plutôt, comme bien des personnages qui incarnent une période de transition, une sorte de dieu Janus qui incarne tour à tour le passé et l’avenir, qui demeurent chez lui inextricablement mêlés.
George W. Bush, certes, aura multiplié des réactions sectaires et étroites qui ont contribué à accélérer l’érosion de l’hégémonie républicaine, installée par Reagan en 1980 : citons tour à tour son refus de toute union nationale, même avec des démocrates très patriotes et très modérés au lendemain du 11 Septembre ; son agacement immodéré à l’égard d’une Russie poutinienne qui lui proposait initialement une sorte d’alliance ; son inattention très dommageable à l’équilibre interne de la société américaine, et pour finir la prolongation insupportable de l’État de non-droit instauré à Guantanamo, qui eut l’effet durable de transformer des coupe-jarrets et des fanatiques sanguinaires en des victimes d’une oppression dont on oublia bien vite qu’elle faisait suite à un crime abominable.
Tout cela est hélas vrai, mais on oublie un peu vite d’instruire à décharge et de reconnaître le grand courage du président à l’heure de l’épreuve, sa détermination à porter le fer au cur du dispositif ennemi, en Irak ; son engagement dépourvu de cynisme au profit de la démocratie moyen-orientale, lequel aura fait basculer l’Irak dans le camp iranien et la Palestine dans les mains du Hamas.
Balourdises apparentes, cette stratégie démocratique, très wilsonienne, a commis des erreurs mais aussi semé des espérances nouvelles en Orient. Dans l’ultime phase de sa présidence, Bush a commencé enfin à marginaliser les Rumsfeld et les Cheney qui l’avaient poussé à la faute à de nombreuses reprises, au profit d’un général Petraeus et d’un ministre de la Défense, Bob Gates, qu’Obama lui-même envisage de maintenir à son poste.
Il ne faut donc pas traiter Bush en paria : ce dernier comme son successeur, Barack Obama, sont aussi le produit d’un processus historique qui les dépasse, celui d’un repli des États-Unis sur son espace vital et d’un approfondissement social de la démocratie américaine dont on dira rétrospectivement qu’ils ont commencé l’un et l’autre au moment même où Bush entamait son second mandat en 2004.
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