C’est fait. Il a renversé la barrière des races. Un Noir est élu président des Etats-Unis, pays torturé en profondeur par l’esclavage, sa faute originelle. Barack Obama pourra-t-il renverser l’autre barrière, celle qui s’élève à nouveau depuis vingt ans en Amérique et par contagion en Europe, celle des classes ?
L’Amérique était devenue, à l’issue de la Première Guerre mondiale, une grande usine de transformation des classes sociales en classe moyenne. Tandis qu’à la même époque l’URSS créait une société d’« une seule classe », « la classe ouvrière », le rêve américain consistait à faire de même en donnant à chacun sa chance. « C’est un pays qui permettait à nos grands-parents et à nos parents de croire que même s’ils ne pouvaient aller au lycée, ils pouvaient mettre de côté un peu chaque semaine pour que leurs enfants puissent aller au lycée, que même s’ils ne pouvaient posséder leur propre affaire, ils pouvaient travailler assez dur pour que leurs enfants puissent en ouvrir une », a rappelé le candidat Obama. Ce « rêve américain » était, soulignait-il, ce qui permettait à ce pays de représenter « le meilleur espoir sur terre », c’était « sa stature morale ».
Or c’est fini. Le système économique actuellement en place détruit la « middle class », du moins en a-t-elle la conviction. Les démocrates se sont appuyés, durant toute la campagne, sur les chiffres de l’économiste français Thomas Piketty, qui a calculé qu’entre 2000 et 2006, tandis que le PIB des Etats-Unis gagnait 18 %, le salaire médian (2.000 dollars) a reculé de 1 %. Dans le même temps, le salaire des Top 10 % (les 10 % les plus riches)a grimpé de 32 %, celui des Top 1 % de 203 % et celui des Top 0,1 % de 425 %. L’économie fonctionne, plaident les démocrates, comme une pompe qui aspire les richesses du bas pour les reverser en haut. La possibilité de « mettre de côté pour ses enfants » est terminée. D’autres indices (comme les entrées à l’université) vont dans le sens d’une inversion de l’ascenseur social. La société du rêve laisse place à celle de l’anxiété. « Les Américains auront une politique qui investira dans les classes moyennes », a promis Barack Obama. La question est : comment ? Comment, bien au-delà de la crise financière et de la récession, comment un occupant de la Maison-Blanche peut-il réinverser le sens du courant des richesses ? La politique peut-elle refaire le « rêve américain » ?
Les économistes proches du nouvel élu admettent que le problème est des plus difficiles et qu’ils n’ont pas de solution toute faite. Mais on peut schématiser trois types de réponse. La première était celle de l’ère Clinton, celle de la « troisième voie » : la croissance pourvoira à tous, il suffit qu’elle soit assez élevée. « Lorsque la marée revient, tous les bateaux du port montent », expliquait Larry Summers, conseiller de l’ancien président. Hélas, lors du dernier cycle (2002-2007), les gros salaires ont grimpé, pas les petits, sans qu’on sache d’ailleurs vraiment pourquoi. En tout cas, « lorsque la marée revient, maintenant seuls les yachts montent », admettait l’an passé le même Larry Summers. La solution clintonienne est insuffisante.
La deuxième est d’améliorer « l’égalité des chances ». Ce qui commence par les enseignements primaire et secondaire très défectueux en Amérique (à l’inverse des universités). « Nous allons recruter une armée de nouveaux professeurs », a dit Obama. Ensuite, la redistribution. Le programme du président prévoit de taxer les riches (plus de 250.000 dollars par an), de refonder les retraites, de bâtir une sécurité sociale pour tous.
Très justement, Paul Krugman, le prix Nobel 2008, relève que c’est à cause des Noirs que les Blancs ont par le passé toujours refusé les cotisations sociales : la barrière raciale aujourd’hui levée, cet obstacle saute. Cette solution passe par l’Etat, elle est nécessaire, elle a des inconvénients (son efficacité et son coût).
La troisième méthode consiste à recréer des emplois « moyens » destinés à la classe moyenne. La seule réussite de la high-tech ne suffit pas à donner des chances à tous, mais, pour autant, faut-il sauver General Motors ? Comment éviter le protectionnisme ?
Dans une économie mondialisée et tertiarisée, avec des ménages trop endettés, quel type de nouvelle croissance Barack Obama peut-il offrir ? Sur cette solution, indispensable complément de la deuxième, le candidat a été peu disert.
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