America's New Image

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L’image d’une famille américaine noire, l’homme, la femme et leurs deux filles, tout sourire à l’idée que, dans quelques semaines, ils partiront s’installer à la Maison-Blanche. Il y a deux ans encore, cette image aurait semblé totalement irréaliste, autrement que dans une série télévisée. «Si quelqu’un doute encore que l’Amérique est l’endroit de tous les possibles, se demande si les rêves de nos pères fondateurs sont encore vivants, s’interroge sur le pouvoir de notre démocratie, cette nuit lui apporte la réponse», disait l’homme, Barack Obama, à des dizaines de milliers de supporters réunis mardi à Chicago pour l’applaudir.

L’Amérique de tous les possibles, et l’élection de toutes les émotions. Comme les deux ans de campagne qui l’ont précédée, la nuit électorale a tenu ses promesses, pourtant démesurées. C’est une carte électorale rongée par l’avancée des démocrates qui s’affichait progressivement mardi soir sur les écrans de télévision américains: la Pennsylvanie, l’Ohio, la Floride, l’Indiana, l’Iowa, la Virginie… Puis, plus à l’ouest, le Colorado, le Nouveau-Mexique et le Nevada. Non seulement le candidat démocrate l’a emporté dans les Etats «indécis», mais il a fait basculer une série d’autres, jusqu’ici traditionnellement conservateurs. Ceux qui, il y a quatre ans, avaient donné la victoire à George Bush.

De fait, le sort auquel tout le pays, et une bonne partie de la planète, était comme suspendu depuis deux ans, s’est joué relativement vite dans la nuit. Depuis les premières heures de la journée, les longues files qui se sont formées devant les bureaux de vote avaient laissé présager que cette élection serait exceptionnelle. La participation (dont le taux n’est pas encore fixé en raison des derniers décomptes) dépassera sans doute le plus haut historique: onze millions d’électeurs de plus qu’il y a quatre ans. L’enjeu était tel que, malgré la victoire de plus en plus évidente du démocrate, nul ne voulait s’aventurer à l’annoncer mardi soir. «Nous avons travaillé deux ans sans relâche pour arriver ici. Nous pouvons encore patienter deux heures», expliquait en cours de route David Axelrod, l’éminence grise de la campagne d’Obama.

C’était pour mieux laisser, ensuite, éclater la joie. De Times Square (New York) à l’église Ebenezer de Martin Luther King (Atlanta), de la Californie à Chicago, ce n’était plus que cris et embrassades parmi les partisans d’Obama jusqu’aux petites heures de la nuit. Des larmes, aussi, comme celles que le révérend Jesse Jackson, cette figure de la lutte pour les droits civiques, laissait couler en direct à la télévision. Celles d’Oprah Winfrey, la reine du talk-show américain, qui avait mis toute sa force de frappe derrière le candidat démocrate. Les larmes avouées, encore, de Colin Powell, l’ancien chef des armées et secrétaire d’Etat de George Bush qui, il y a quelques semaines, avait lui aussi apporté son soutien décidé à Obama.

La guérison symbolique de la plus grande blessure de l’histoire américaine, celle de l’esclavage et de ses suites? Tout le monde voulait y croire, apportant à cette nuit une dimension unique. «C’est plus qu’une victoire politique, c’est une victoire spirituelle», disait dans les rues de New York une jeune femme noire qui ne tenait pas en place.

Mesurant l’importance du moment avant de reconnaître sa défaite, John McCain venait de souligner lui aussi «la dimension particulière que ce scrutin revêt pour les Afro-Américains (ndlr: qui ont voté à 95% en faveur d’Obama) et la fierté particulière qui doit être la leur cette nuit». Le président George Bush enchaînait, le lendemain matin: «Peu importe pour qui ils ont voté, tous les Américains peuvent être fiers de l’histoire qu’ils ont écrite hier», s’exclamait-il.

Auréolé de cette dimension «historique», Barack Obama n’aura cependant pas beaucoup de temps pour savourer sa victoire, face aux défis qui l’attendent. Pour mener sa politique, il pourra compter sur un Sénat et une Chambre des représentants qui, tous deux, ont encore pris des couleurs démocrates. C’est la première fois depuis Bill Clinton en 1995 que le même parti contrôle la Maison-Blanche et le Congrès. Mais malgré leurs espoirs, les démocrates ne sont pas parvenus à passer la barre magique des 60 sièges au Sénat qui leur aurait permis de ne pas se soucier de l’opposition de la minorité républicaine.

Sans transition, les noms commençaient à circuler hier à Washington des membres de l’équipe que prévoit de réunir autour de lui Barack Obama, lors de sa prise de fonctions le 20 janvier prochain: le représentant de l’Illinois Rahm Emanuel et ancien conseiller politique de Bill Clinton au poste clé de secrétaire général de la Maison-Blanche; le sénateur du Massachusetts John Kerry, comme secrétaire d’Etat.

«Ce pays mène deux guerres et affronte la plus grave crise financière en un siècle, avait prévenu sur la scène de Chicago le nouveau président élu. Il y a des emplois à créer, des écoles à construire. La route devant nous est longue.» Puis il avait cette formule, qui semblait destinée à ramener à la réalité ses propres troupes: «Cette victoire n’est pas encore le changement, mais la chance pour nous d’accomplir le changement.»

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