The Coronation of The Blacks' Struggle

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La lutte des Noirs couronnée

Pour Manning Marable, spécialiste de la question raciale aux États-Unis, la victoire d’Obama représente l’aboutissement de la conquête des droits civiques.

De toutes les images portées par une soirée pas comme les autres, il en est une qui marque plus que les autres. Celle de Jesse Jackson, le vétéran de tous les combats des Noirs aux Etats-Unis, pleurant à chaudes larmes avant le discours de Barack Obama. La fabuleuse saga du sénateur de l’Illinois, c’est aussi celle de tout un peuple qui n’a jamais cessé de croire à son destin. Pour Libération, Manning Marable, professeur de sciences politiques à l’université de Columbia, et l’un des spécialistes les plus éminents de la question raciale aux Etats-Unis, décrypte la portée historique de l’élection du premier président noir américain.

La dernière bataille

«C’est une victoire remarquable qui consacre le succès de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis depuis cinquante ans. Une victoire qui représente l’aboutissement du fameux rêve de Martin Luther King, qu’il a exprimé dans son discours d’août 1963 au Lincoln Memorial de Washington. King pensait que les Noirs américains ne devaient pas être jugés “selon la couleur de leur peau, mais à l’aune de leur personnalité”. Il a sacrifié sa vie pour combattre la ségrégation raciale légale. Dans cette perspective, l’élection d’Obama représente la dernière bataille de la guerre de sécession, de 1861 à 1865, qui a vu l’Amérique se déchirer sur le statut des Noirs américains et l’esclavage.»

La réalisation d’un espoir

«Pour le peuple noir, c’est la fin d’une attente, la réalisation d’un espoir. Un jour de 1955, à Montgomery, dans l’Alabama, une femme nommée Rosa Parks a refusé de céder son siège à un Blanc dans un bus. Et la lutte n’a jamais cessé depuis. Aux Etats-Unis, il a fallu attendre 1965 pour que les Noirs obtiennent le droit de vote et commencent majoritairement à voter lors du scrutin présidentiel de 1968. Quand on y pense, il est remarquable qu’en seulement quarante ans, les Noirs, qui étaient relégués à la périphérie de la démocratie, ont désormais un représentant au plus haut poste de l’Etat.»

Trois générations de leaders

«L’histoire de la longue marche des Afro-américains, c’est aussi l’émergence de trois générations de leaders noirs aux Etats-Unis. Dans les années 50 et les années 60, sont apparus les leaders du mouvement des droits civiques et des Blacks Panthers. Ces militants noirs avaient un message exclusivement destiné à la population afro-américaine. Martin Luther King et Malcom X appartenaient à des organisations qui avaient leurs racines dans la culture des pasteurs noirs. Leur principal objectif était de se battre pour défendre les droits de leur communauté.

Dans les années 80, a émergé un autre groupe de leaders noirs. Des élus portés au pouvoir par des circonscriptions majoritairement noires, mais pas exclusivement. Ils étaient moins radicaux que leurs prédécesseurs, moins activistes, et se sont fait les avocats de la cause noire auprès de l’Amérique dans son entier.

Finalement, les années 90 ont consacré une dernière génération. Des hommes politiques noirs qui ont pu se faire élire grâce aux voix de la population blanche. Jusqu’en 1988, deux tiers des Américains blancs rejetaient l’idée d’avoir un Noir à la Maison Blanche. Aujourd’hui, 80 % des Américains s’y disent prêts. Nous avons été les témoins d’une évolution sociologique de dizaines de milliers d’Américains sur la question raciale. C’est aussi un facteur générationnel. Beaucoup de ceux qui militaient contre l’émancipation des Noirs il y a plus de quarante ans ont tout simplement disparu.»

Un autre monde

«Obama ouvre la voie vers un autre monde, mais il n’est pas au bout du chemin. Une part du rêve de Martin Luther King, c’était aussi une meilleure égalité économique et sociale. A Obama de démontrer que son administration saura répondre aux attentes émanant des plus pauvres et des plus démunis et qu’il saura mettre fin à l’oppression économique. En réalité, nous traversons une période de “transition ethnique”, durant laquelle les Etats-Unis vont ressembler de plus en plus au reste de l’Europe et du monde, avec une plus large mixité raciale.

Quelque part, l’émergence d’un Noir à la Maison Blanche était inévitable. C’est aussi une question de changement démographique. En 2042, la majorité de la population aux Etats-Unis sera représentée par des gens de couleur (Noirs, Hispaniques et Asiatiques). Cette évolution est déjà en train de se réaliser, en Californie, à New York, partout. Obama l’a bien compris. C’est un homme qui transcende les races. Sa mère était du Kansas, son père du Kenya, et Barack Obama a mené une campagne en se plaçant déjà dans la perspective d’une Amérique post-raciale. Désormais, il a l’opportunité de faire des grandes choses, pour tous les Américains. De construire des ponts entre les communautés. Obama est le nouveau leader post-racial de l’Amérique.»

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