Combien de fois l’ai-je dit à mes amis qui désespéraient de l’Amérique tout au long de ces huit années Bush : ne désespérez pas, l’autre Amérique reviendra. 47 % des Américains (ou 48, ou 46, anyway) ont voté pour Kerry en 2004, plus encore avaient voté pour Gore en 2000, un Américain sur deux. À peu près.
C’est aussi ce que je leur dis aujourd’hui : ne vous excitez pas trop, l’autre Amérique reviendra. L’autre Amérique n’est jamais loin. À 48 % (ou 47 ou 46, anyway), c’est un Américain sur deux. À peu près.Mardi dernier, l’Amérique a élu un Noir. Un de ces rares moments dans la vie d’un homme où il peut voir l’Histoire survenir. Rarement l’Histoire, qui est du temps, ne fait-elle irruption, ne se concrétise-t-elle, ne se solidifie-t-elle en un moment précis où l’on peut voir les choses arriver, couler (comme la lave d’un volcan pour rester dans l’idée d’irruption-éruption).
Reste que cela fausse les perspectives. Reste que cette élection était aussi une élection comme une autre, heureuse en cela qu’elle met fin à une période sombre, mais n’est-ce pas une loi de la nature tout autant que de la politique : après avoir touché le fond, tu remontes, non ?
Cette victoire, donc, nous dit ce qu’on veut entendre. Pour les uns qu’il ne faut jamais désespérer, pour les autres elle démontre que la merde (Bush) est aussi éphémère que les idéaux, la justice et autres bonnes choses…
J’ai même entendu ce matin à la radio (Canada) que cette élection marquait un net recul de l’anti-intellectualisme. Holà ! L’anti-intellectualisme reculera si l’intellectuel (ou perçu comme tel) Obama réussit à remettre l’Amérique sur pied. S’il échoue, l’anti-intellectualisme refera les beaux jours d’un nouveau Bush.
J’ai entendu aussi, et cela, cent fois plutôt qu’une, que la victoire de M. Obama mardi dernier était celle de la gauche. Même s’il prône une certaine solidarité sociale, le libre choix pour les femmes, une assurance maladie pour les démunis, etc., je crois que M. Obama transcende les traditionnelles notions de droite et de gauche. Un homme nouveau. Surtout un homme jeune, en lequel les jeunes se reconnaissent.
Mais cela aussi fausse les perspectives. Le vote populaire de mardi nous montre qu’un Américain sur deux ou presque a voté contre Obama.
Une élection historique ? Absolument. Par sa couleur. Un homme nouveau pour mener l’Amérique et un peu le monde ? Complètement. Par sa jeunesse, son ouverture, son intelligence.
Reste que cette élection nous dit, comme les deux précédentes, l’âpreté de l’affrontement entre deux Amérique possibles. Cette fois-ci, c’est la nôtre, la mienne en tout cas, qui l’a emporté. La prochaine fois, on verra.
Juste vous dire qu’à la mesure de l’Histoire, le passé ne passe pas vite.
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Deux Amérique possibles disais-je. Me permettez-vous d’extrapoler ? Et même de déconner un peu ?
Deux Canada possibles, deux France, deux Italie possibles, deux Europe possibles, deux Amérique du Sud possibles. Deux univers possibles.
L’extrême droite catho nous annonçait (en le souhaitant) que ce siècle serait marqué par un affrontement majeur entre la chrétienté et l’islam. J’avance plutôt que la guerre sera entre chrétiens, l’Amérique contre l’Amérique, la France contre la France, la vallée du Pô contre le Mezzogiorno, Montréal-Toronto contre les Prairies.
Deux idéologies qui, à partir du même postulat – produire, s’enrichir, prospérer – s’opposeront sur tout le reste, sur l’art de vivre, sur la saveur des choses, bref, sur la culture, voilà le mot est dit : la culture.
Des élections culturelles, voilà. Il arrivera parfois qu’un Obama ou un Stéphane Dion viendront fausser les perspectives pour des raisons contraires, un Obama soulevant les passions, un Dion les éteignant, mais essentiellement toutes nos élections vont finir par devenir culturelles. Cela ne sera pas écrit comme tel dans l’isoloir, le mot culture ne sera nulle part ; reste qu’en mettant notre croix, nous choisirons la nature même de notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes.
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Est-ce que cette divagation, monsieur le journaliste, englobe les présentes élections provinciales ? Le 8 décembre, allons-nous choisir notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes en votant pour Mario, Pauline ou Charest ?
Attendez, là, vous vous foutez de moi ?
Mario, Pauline ou Charest, cela ne changera pas grand-chose. Qui que vous choisissiez, c’est encore l’État qui va gouverner. Et non, naïfs, l’État ce n’est pas vous, ni ceux que vous avez élus. L’État est cet appareil de gouvernance extérieur à nous-mêmes et à ceux que nous avons élus, cette machine qui fonde sa légitimité sur l’expertise – expertise : compétence d’experts – cette machine disais-je, qui règle les affaires courantes du pays, mais décide aussi, on le sait moins, de ses grandes orientations.
Exemple, la réforme de l’éducation. Exemple, le règlement hystérique de la crise de la listériose. C’est l’État, la machine qui est à l’origine de la réforme scolaire et qui la mène depuis. Le prochain ministre de l’Éducation, comme les autres, se rendra sans barguigner aux analyses des experts qui lui feront valoir que ce serait tout gâcher que de réformer la réforme.
Vous élisez des gens pour qu’ils vous représentent, le lendemain de leur élection les voilà au service de la machine.
Quant à la culture, puisque vous me le demandez, il n’en sera question que lors de la nomination du ou de la ministre de la chose, rappelez-vous de la dernière, ça ou Sarah Palin à la vice-présidence des États-Unis, c’est kif-kif bourricot.
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