Medvedev tend la main
à Obama
Propos recueillis à Gorki par Étienne Mougeotte et Fabrice Nodé-Langlois
13/11/2008 | Mise à jour : 15:42 | Commentaires 93
ENTRETIEN EXCLUSIF – Le chef de l’État russe est prêt à abandonner sa décision de déployer des armes nucléaires à Kaliningrad si le nouveau président américain renonce à implanter en Pologne un bouclier antimissile.
LE FIGARO. – M. le Président, vous accordez au Figaro votre première interview à la presse étrangère depuis l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Vous avez menacé de déployer des missiles à Kaliningrad. N’était-ce pas placer vos relations avec le nouveau président américain sur un mode conflictuel ?
Dmitri MEDVEDEV. – Je tiens à dire que mon intervention du 5 novembre devant le Parlement n’est pas liée aux élections aux États-Unis ou à des événements internationaux particuliers. Il s’agit d’un message en premier lieu à usage interne. La décision de l’actuelle Administration américaine de déployer un système de défense antimissile sans avoir obtenu le consentement de l’Europe ni de ses partenaires de l’Otan est un vrai problème. Nous avons posé à plusieurs reprises des questions claires à nos partenaires américains : à quoi vous sert ce système ? Qui vise-t-il ? Sera-t-il efficace ? Nous n’avons pas reçu de réponse appropriée. Mieux, nous avons fait des propositions sur un système de sécurité globale, nous avons offert d’utiliser nos systèmes radar ainsi que les systèmes de nos proches alliés comme l’Azerbaïdjan, sans être entendus. Nous ne pouvons pas ne pas réagir au déploiement unilatéral des missiles et des radars.
Mais nous sommes prêts à abandonner cette décision de déployer des missiles à Kaliningrad si la nouvelle Administration américaine, après avoir analysé l’utilité réelle de système pour répondre à des «États voyous», décide d’abandonner son système antimissile. La première réaction des États-Unis montre que la nouvelle Administration réfléchit là-dessus. Nous sommes prêts à négocier sur une «option zéro». Nous sommes prêts à réfléchir à un système de sécurité globale avec les États-Unis, les pays de l’Union européenne et la Fédération de Russie.
Quant à mes relations personnelles avec le président élu Barack Obama, je peux dire que j’ai eu un bon entretien au téléphone avec lui. Nous espérons bien créer des relations franches et honnêtes et résoudre avec la nouvelle Administration américaine les problèmes que nous n’avons pas réussi à régler avec l’Administration actuelle.
Le nouveau président américain bénéficie d’un très grand capital de confiance. Il a été élu dans une période très compliquée et je lui souhaite beaucoup de chance dans l’exercice de ses fonctions.
Aurez-vous l’occasion de rencontrer Barack Obama en marge de la réunion du G20 ce week-end à Washington ?
C’est une question de cuisine interne américaine. Aux Américains de décider de l’opportunité pour le président élu de participer à la réunion. En tout cas, nous nous sommes mis d’accord pour nous rencontrer sans tarder.
Demain, vous serez à Nice pour un sommet Russie-Union européenne. Certains pays membres sont toujours préoccupés par le maintien d’effectifs militaires russes en Ossétie du Sud et en Abkhazie plus importants qu’avant le 7 août. Allez-vous réduire ces effectifs ?
Aucun texte, y compris notre accord avec le président Sarkozy, ne réglemente nos contingents militaires. Lorsqu’il s’agissait de débloquer la situation, nous parlions du retrait de nos forces de maintien de la paix. Mais cette étape est terminée. À présent, les effectifs et la localisation des bases militaires sont définis par les accords de coopération bilatéraux signés par la Russie avec ces deux pays, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Cela dans le but de préserver la vie des habitants et d’éviter une catastrophe humanitaire. Ce qui justifie un certain effectif.
L’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud est-elle irréversible ?
Notre décision de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie est irréversible. Du point de vue du droit international, ces deux entités existent.
Le président Sarkozy a convaincu ses partenaires européens de reprendre les négociations pour établir un partenariat stratégique entre l’UE et la Russie. Qu’en attendez-vous ?
Je voudrais rendre hommage aux efforts du président Sarkozy pour renforcer les relations entre l’UE et la Russie dans tous les domaines. Nous avons besoin des investissements réciproques. L’Europe est le plus grand consommateur de l’énergie russe, nous sommes de grands acheteurs des technologies et produits européens. Rien qu’avec la France, nos échanges s’élèvent à 16 milliards de dollars par an et progressent. Nous avons besoin de fondations solides à nos relations, c’est l’objet de ce nouvel accord. La Russie a été, demeure, et restera une partie intégrante de l’Europe. Notre intérêt est d’avoir des relations aussi étroites que possible.
Vous participez ce week-end au sommet de Washington sur la crise. Arrivez-vous à Washington avec des propositions précises ?
Non seulement je vais arriver avec des propositions mais je les ai déjà envoyées au président Sarkozy, au premier ministre Berlusconi, à la chancelière Merkel, au premier ministre Brown. Ce n’est pas un secret, nous partageons la même vision de la genèse et de la nature de la crise. Nous devons trouver des solutions pour stabiliser durablement le système financier et le réformer. Comment minimiser les dégâts de la crise actuelle ? Comment éviter la répétition d’une telle crise ? Nous devons trouver les réponses à ces deux questions clés.
La nouvelle architecture financière mondiale doit être en premier lieu plus transparente, plus prévisible. Il faut jeter les bases d’un nouveau Bretton Woods qui comprendra de nouvelles institutions internationales de crédit, un nouveau système de comptabilité, un nouveau système d’assurance du risque. Nous avons proposé l’idée d’un système d’alerte préalable des risques, qui doit être repris à leur compte par tous les pays.
La Russie n’est pas à l’abri de la récession économique mondiale. Êtes-vous prêts à un plan massif de relance comparable par exemple à celui qui a été annoncé par la Chine ?
C’est un défi majeur. Tous les dirigeants du pays sont prioritairement chargés de minimiser les conséquences de cette crise globale. Nous avons déjà adopté une série de mesures importantes, notamment dans le secteur bancaire dont nous avons augmenté les liquidités, et dans le secteur productif. Nous continuons de suivre la situation très attentivement, ainsi que les décisions de nos partenaires européens et chinois. Cependant, bien qu’il s’agisse d’une crise mondiale, il n’y a pas de recette universelle, et chaque économie est différente.
Pourriez-vous être amenés à nationaliser les banques, dès lors qu’une partie de l’argent que vous injectez part à l’étranger ?
Il y a effectivement une fuite de capitaux à l’étranger. Pour autant, la nationalisation n’est pas la solution. Il faut sauvegarder les banques clés du système, celles qui assurent la circulation financière dans le pays. Il faut également protéger l’épargne des citoyens qui est garantie par l’État. Si nécessaire, nous pouvons prendre des mesures telles que des prises de participation par l’État, comme cela a été fait avec succès aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Mais même si une partie du capital des banques est transférée à l’État, cela doit être provisoire. Ces actions seront revendues sur le marché. J’ai dit dans mon message au Parlement que nous n’avons pas besoin d’une économie étatisée. Nous avons besoin d’une économie efficace, d’une économie de marché fondée sur la propriété privée.
La forte baisse du prix du pétrole va peser lourdement sur le budget de la Russie. Imaginez-vous que le pétrole puisse remonter rapidement ?
Les baisses considérables des cours comme les hausses spéculatives déstabilisent la situation. Bien sûr, nous ne pouvons nous réjouir quand les prix plongent en deçà d’un seuil jugé raisonnable par tous les pays producteurs de pétrole. Mais notre budget est bien protégé contre cette baisse grâce à notre fonds de réserve qui permet de maintenir les dépenses budgétaires sociales et économiques. À long terme, je suis sûr que la tendance du prix du pétrole sera orientée à la hausse. Dans l’immédiat, personne n’est capable de le dire. La science économique en est réduite à être transformée en art.
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