The Last Black President

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Point de vue

Etats-Unis : le dernier président noir…, par François Durpaire

LE MONDE | 19.01.09 | 14h04

Alors que les médias du monde entier s’étaient demandés pendant des mois si l’Amérique était prête à élire un Noir à la Maison Blanche, le candidat démocrate de 2008 a obtenu 43 % du vote blanc, ce qui est mieux que ses prédécesseurs Al Gore, John Kerry, Bill Clinton en 1992, Walter Mondale, en 1984, ou Michael Dukakis, en 1988. Si nul ne sait aujourd’hui si Obama restera dans l’histoire comme le président du changement, son élection témoigne en elle-même des indéniables changements accomplis par la société américaine au cours des trente dernières années.

On avait évoqué un “Bradley Effect”, pour désigner le destin malheureux des candidats noirs. L’expression faisait référence à la défaite, en 1982, du maire noir de Los Angeles, Tom Bradley, au poste de gouverneur de Californie. Les derniers sondages lui donnaient une marge de 8 points d’avance sur son concurrent républicain blanc. Ce dernier remporta finalement l’élection : les électeurs blancs avaient donné une réponse “politiquement correcte” aux sondeurs de crainte d’apparaître comme racistes.

Obsédés par le “Bradley Effect”, les médias n’ont pas soupçonné l’existence d’un “Huxtable Effect” au sein de la génération du millénaire. Celui-ci désigne les effets sur l’évolution des mentalités du “Cosby Show”. Diffusée sur la chaîne NBC dans les années 1980, cette série télévisée met en scène une famille de la bourgeoisie noire, la famille Huxtable, devenue une icône de la réussite et de la stabilité. Or ce sont les générations qui, enfants ou adolescents à l’époque, ont le plus suivi la série, qui ont soutenu massivement Obama.

Une journaliste du Chicago Sun-Times explique que lorsqu’elle faisait la queue pour voter, elle a entendu un groupe de jeunes d’une vingtaine d’années qui, se remémorant leurs souvenirs du “Cosby Show”, affirmaient qu’ils auraient aimé, enfant, avoir un père comme Heathcliff Huxtable. Or aucun de ces jeunes n’était africain-américain…

Cette anecdote témoigne des évolutions postraciales de la société américaine, les nouvelles générations pouvant naturellement s’identifier à des personnalités ayant une couleur différente de la leur. Si les journalistes ont manifesté autant de surprise face à l’ascension d’Obama, c’est bien parce que la plupart d’entre eux ne sont pas issus de la “génération Cosby”, mais de la “génération Cleaver”. Ward Cleaver est le nom du père de famille de la sitcom “Leave it to Beaver” représentant l’archétype de la famille américaine des années 1950.

C’est un faux paradoxe : en devenant, le 20 janvier, le premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, il se pourrait qu’Obama soit également le dernier président noir. En clôturant un chapitre de l’histoire américaine, marquée par la fracture de la couleur, le président élu est l’enfant du rêve de Martin Luther King : que tout citoyen ne soit plus vu et jugé selon la couleur de sa peau, mais selon ses qualités propres.

Une majorité d’Américains ont voté pour le candidat démocrate parce qu’ils estimaient qu’il était le mieux à même de les sortir de la crise, et non en fonction de ses origines particulières. Candidat atypique, son mandat, en s’inscrivant dans une tradition de président, participera à la banalisation de la “couleur” et au dépassement du fait “racial”. Déjà, on ne parle plus que de l'”équipe” d’Obama. Dans quelques semaines, toute l’attention des médias sera polarisée sur ses premières mesures, sur ses réformes, sur ses premières erreurs. Les références coloristes seront définitivement oubliées. Dans cette perspective, Barack Obama, candidat noir, ne sera plus pour les générations futures un président noir, mais ni plus ni moins que le 44e président de l’histoire américaine…

La crise économique et sociale a donné du crédit à la démarche d’Obama qui, tout au long de sa carrière, s’est efforcé de substituer la question sociale à la question raciale. Le 5 septembre 2005, alors qu’il se rendait à Houston pour rencontrer les victimes du cyclone Katrina, il rejetait l’argument selon lequel le président Bush aurait agi trop lentement parce que les victimes étaient noires.

Il mit alors en exergue l’irresponsabilité du gouvernement fédéral et l’indifférence de l’administration républicaine envers les problèmes de pauvreté dans les quartiers déshérités. Obama entend insister, durant son mandat, sur l’importance des investissements publics dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la protection sociale. Ces programmes seraient en mesure de combler le fossé entre la majorité blanche et les minorités, même s’ils ne sont pas conçus spécifiquement pour ces dernières (“race specific”).

Cette interprétation d’Obama quant à la nécessité de passer d’une logique juridique à une logique sociale semble, en partie, partagée par la principale association de défense des Noirs. La National Association for the Advancement of Colored People a réalisé que les Africains-Américains étaient parmi les premiers touchés par la crise des subprimes.

Mais il serait probablement anticipé d’évacuer totalement la conscience de couleur. Si les discours de campagne de Barack Obama furent très largement postraciaux, sa manière de construire sa victoire le fut beaucoup moins. Mille-feuille identitaire, permettant à chaque communauté de retrouver en lui la feuille qui lui correspondait, Obama s’est fait noir parmi les Noirs quand il parcourait le Sud, et redevenait le fils du Kansas lorsqu’il retournait dans le Middle West.

Plutôt “pluri-identiraire” que “postidentitaire”, Obama s’est attelé à prouver à chaque frange de l’électorat qu’il partageait son code culturel. Il y a toujours un écart entre l’Amérique rêvée – conforme au slogan des supporters d’Obama : “Race does not matter” (“la race ne compte pas”) – et l’Amérique réelle. Un jeune Noir sur neuf – de 20 à 34 ans – est incarcéré, contre un adulte blanc sur 106. D’aucuns redoutent que l’élection d’un président noir ne serve de prétexte pour abandonner la lutte contre les discriminations racistes (est-il pertinent d’évoquer la persistance d’injustices liées à la couleur de peau si un Noir peut accéder à la magistrature suprême ?). Et de dénoncer cette politique dite de “Tokenism”, qui consiste à intégrer une élite issue des minorités pour donner l’illusion d’un progrès global.

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François Durpaire, chercheur au Centre de recherche d’histoire nord-américaine de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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