Neoliberalism Light

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Néolibéralisme “light”

le 21 janvier 2009 8h16 | par

BH Harcourt

Ce discours inaugural de Barack Obama – tout a fait remarquable à de nombreux égards, et bien évidemment historique – a un intérêt particulier : une nouvelle grammaire économique. Obama a, assez délibérément, employé un nouveau ton. Il a emprunté un nouveau registre, une nouvelle voix que je nommerais « néolibérale light ». Et, j’insiste sur ce point, cela était délibéré. Ce n’était pas un accident. Ce n’était pas simplement de la rhétorique politique. Ce n’était pas, je pense, le simple produit de son « speech writer », chargé de rédiger ses discours. Non, Obama est revenu sur ce sujet à dessein. Il semble presque avoir ajouté le paragraphe en question – c’était une anaphore, une répétition calculée, dans laquelle il s’adressait directement aux néolibéraux. Et qu’a-t-il dit ?

Et bien d’abord, rappelez vous de la manière dont il parlait du marché libre en août 2008 – soit plus d’un mois avant la débâcle Lehman Brothers, la nationalisation de Fannie Mae , de Freddie Mac, etc… À cette époque, Obama disait – je vous livre d’abord ses paroles en anglais, puis je les traduirai– “The market is the best mechanism ever invented for efficiently allocating resources to maximize production… I also think that there is a connection between the freedom of the marketplace and freedom more generally… [But] there are certain things the market doesn’t automatically do.” En d’autres mots:

Le marché est le meilleur mécanisme qui ait jamais été inventé pour distribuer les ressources de la manière la plus efficace afin de maximiser la production… Je crois aussi qu’il y a un lien entre la liberté du marché et la liberté de façon plus générale… [Mais] il y a certaines choses que le marché ne peut faire automatiquement.

Mais cela, c’était bien avant la crise. Et cela n’a rien à voir avec le discours inaugural – l’écart est subtil, bien sûr, pourtant c’est une grammaire tout à fait différente qui est utilisée. L’introduction, la première phrase, elle, était assez classique : un peu bipartisane, transcendant même la politique habituelle. Obama déclare – voici la version originale en Anglais puis une traduction :

What the cynics fail to understand is that the ground has shifted beneath them — that the stale political arguments that have consumed us for so long no longer apply.

Ce que les cyniques ne peuvent pas comprendre, c’est que le sol s’est dérobé sous leurs pieds et que les arguments politiques rancis auxquels nous avons eu droit depuis si longtemps, ne valent plus rien.

Jusqu’ici, rien de neuf: il ne s’agit que de vieux débats.

Puis, dès la phrase suivante Obama engage plus nettement le débat néolibéral – c’est-à-dire le conflit traditionnel entre la vision New Deal (« big government ») et celle de Ronald Reagan (« no government »). Une fois encore, il annonce que ces débats sont dépassés:

The question we ask today is not whether our government is too big or too small, but whether it works — whether it helps families find jobs at a decent wage, care they can afford, a retirement that is dignified. Where the answer is yes, we intend to move forward. Where the answer is no, programs will end.

La question aujourd’hui, n’est pas de savoir si notre gouvernement est trop important ou trop petit, mais s’il fonctionne – s’il aide les familles à trouver des emplois avec un salaire décent, à accéder à des soins abordables et à une retraite digne. Si la réponse à cette question est oui, nous continuerons. Si la réponse est non, nous mettrons un terme à ces programmes.

Jusque là, son discours est encore assez proche de ses propos passés. Mais ensuite, il revient plus nettement sur ce thème. Désignant le monstre sacré, il s’adresse à l’École de Chicago :

Nor is the question before us whether the market is a force for good or ill. Its power to generate wealth and expand freedom is unmatched, but this crisis has reminded us that without a watchful eye, the market can spin out of control — and that a nation cannot prosper long when it favors only the prosperous.

La question n’est pas non plus de savoir si le marché est une force du bien ou du mal. Sa capacité à générer de la richesse et à étendre la liberté est sans égale. Mais cette crise nous a rappelé que, sans surveillance, le marché peut devenir incontrôlable, et qu’une nation ne peut prospérer longtemps si elle ne favorise que les nantis.

« Le marché » : le voilà qui s’adresse directement au fantôme de Milton Friedman. (Du reste, cela n’a certainement pas échappé à mes collègues. Nous étions tous – profs et étudiants – dans la grande salle en train de regarder ce discours remarquable à la télévision, et nous avons tous tourné la tête vers Richard Epstein – le plus acharné des tenants de l’Ecole de Chicago — à l’instant même où Obama a prononcé cette phrase).

Vocabulaire nouveau. Que je crois très précis et très choisi. Barack Obama s’est présenté, à son investiture, sceptique à propos du marché, peu disposé à se conformer à la ligne de l’Ecole de Chicago. Il faudra suivre de près ses actions concrètes sur l’économie . Mais ce discours reflète bien un changement , subtil , mais un changement net de registre. C’est assez remarquable pour un discours qui s’adressait à l’Histoire et au Monde entier.

***

Enfin, rappelons que pendant que nous participions tous à ce spectacle historique, symbolique, et extraordinaire, aujourd’hui, Rahm Emanuel, le chef de cabinet du président, s’est vite mis au travail et a signé un « memorandum » envoyé a tous les ministères et toutes les agences pour suspendre immédiatement tout règlement qui ne serait pas encore entré en vigueur– « all pending regulations ». Selon le porte-parole de la nouvelle administation, Emanuel a signé « un mémoire adressé à toutes les agences et tous les départements (de l’administration) pour stopper toutes les réglementations en suspens jusqu’à ce que l’administration Obama ait pu en réexaminer les aspects politiques et juridiques ». De son côté, le nouveau président a trouvé les quelques instants nécessaires pour signer les documents nommant officiellement les membres de son cabinet – ce qui a permis au Sénat, après le déjeuner, de donner son consentement à la nomination de sept ministres, parmi lesquels Janet Napolitano au Homeland Security, Arne Duncan à l’Éducation, et Steven Chu à l’Énergie.

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