How Are You, Mr. Obama?

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Pas facile, lorsqu’on est aux États-Unis, d’intéresser les Américains au Canada.

Pour la très vaste majorité de ceux que j’ai croisés dans ma vie, notre contrée est un vaste banc de neige aplati, une sorte de tranche de pain Weston sans beurre et sans confiture. Un pays sans Histoire et sans histoire, qui leur ressemble juste assez pour n’exercer aucune fascination.

À ma connaissance, il n’y a qu’une seule façon d’allumer une étincelle dans leur regard au sujet de leur voisin: notre programme universel d’assurance maladie (et, si on parle à des femmes, on peut ajouter les congés parentaux et les garderies à 7$).

Ah là! Là, on parle.

Sortez votre carte-soleil dans un salon du South Side de Chicago ou de North Beach, à San Francisco, de l’Upper West Side de New York ou de East L.A., et vous serez la coqueluche pour un bon moment.

«Wow! Tu montres ça et tu n’as RIEN à payer? Rien?»

Tenez. Un soir, à la mi-janvier, je suis dans une famille noire du ghetto d’Englewood, dans le sud de Chicago, pour parler d’Obama. La cabane est pauvre mais bien close, comme dirait Hugo. Sur les murs, les tableaux croches aux cadres brisés témoignent d’une fierté coquette. Sur les fauteuils défoncés, des pièces de similicuir tentent de cacher l’usure infligée par tous ceux qui sont venus dans ce salon, année après année, débattre de réformes, d’injustice, de changement.

On commence à discuter des besoins pratico-pratiques de la communauté noire et on parle de soins médicaux. Je demande aux gens s’ils aimeraient voir ma carte-soleil et je la sors de mon sac.

Regards stupéfaits. Cris admiratifs.

«Attendez un instant. Ceci est unique!» a ensuite lancé Wanda, l’hôtesse. Puis, n’en croyant pas ses oreilles, elle est partie chercher une caméra pour me filmer en train d’expliquer comment ça marche au Canada quand on va voir le médecin, avec la carte, pas d’argent…

Le lendemain, assise au bar d’un resto cool du centre-ville, je ressors ma carte pour la montrer à mes deux voisines: une infirmière et une avocate. Et là encore, re-succès. «Amazing!»

Le commentaire le plus révélateur est venu de Ron, le rédacteur en chef d’un journal communautaire de Bronzeville, le Harlem de Chicago, en scrutant mon petit bout de plastique: «Je ne savais même pas que c’était possible.»

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Une des grandes promesses de Barack Obama durant sa campagne électorale a été la mise en place de mesures qui garantissent à tous l’accès aux soins médicaux. Car en ce moment, les États-Unis ne peuvent soigner tout le monde.

Il y a certains programmes qui couvrent les personnes âgées ou les assistés sociaux ou les employés de l’État. Mais une bonne partie des Américains est assurée par des programmes privés par le truchement du travail puisque les sociétés sont encouragées fiscalement à offrir de telles couvertures. Donc perte d’emploi signifie perte d’accès à ces assurances.

Cela ne veut pas dire que les États-Unis allouent peu d’argent aux soins médicaux. En 2006, selon les chiffres de l’OCDE, ils ont consacré 15,6% de leur PIB aux frais médicaux alors que le pourcentage canadien était de 10%, lui-même d’un point plus élevé que la moyenne des pays membres de l’OCDE. Et la moitié de la somme dépensée aux États-Unis a été payée par le gouvernement.

Et pourquoi la note est-elle aussi élevée dans un pays où ceux qui n’ont qu’un accès limité aux soins de santé se comptent par millions, un pays où régulièrement les médias rapportent des histoires d’horreur sur des patients dont la vie a été mise en danger parce qu’ils n’étaient pas en mesure de se payer un médecin?

Parce que la médecine américaine coûte très cher.

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Voilà presque deux semaines que Barack Obama est arrivé à la Maison-Blanche et il n’a pas encore fait d’annonce sur la réforme de la santé, ce qui commence déjà à agacer certains commentateurs. «Health care now!» a lancé vendredi le Prix Nobel Paul Krugman dans sa chronique du New York Times. La semaine précédente, le chirurgien et journaliste Atul Gawande, ancien conseiller des Clinton, avait donné ses conseils dans le New Yorker pour que la réforme se fasse.

Selon Krugman, la situation de crise actuelle – le mélange pertes d’emploi et prix des soins hyper élevés – pourrait aider le dossier à avancer, comme la Dépression a aidé Franklin Roosevelt à mettre en place les principaux axes des programmes sociaux américains.

Mais tous ne sont pas aussi optimistes.

«Les sondages montrent qu’il y a dans la population américaine une réelle volonté de changement», m’expliquait vendredi Antonia Maioni, politologue à McGill et spécialiste de ces questions. Mais la Dépression n’a pas permis à l’assurance santé d’être adoptée. Et les Clinton ont échoué aussi, même si, au moment de l’élection, il y avait un fort élan politique en ce sens… Il est vrai, admet Mme Maioni, qu’il y a un mélange de conditions particulièrement explosif, actuellement. Mais est-ce assez?

Le jeu politique qui encadre une telle réforme est hyper complexe. Les acteurs en place sont nombreux, puissants. Il y a les compagnies d’assurances, les médecins, les hôpitaux, les États, le Congrès, le gouvernement fédéral, les patients, les consommateurs, les avocats, les pharmaceutiques, les HMO, ces compagnies hybrides qui font à la fois dans l’assurance et les services de santé… Il y a la réaction épidermique de bien des Américains aux interventions gouvernementales et il y a les histoires d’horreur de ces patients qui doivent remettre à plus tard leurs traitements contre le cancer parce qu’ils ont perdu leur emploi…

Et il y a Ron et Wanda et leurs voisins, qui nous trouvent vraiment chanceux d’avoir nos petites cartes en plastique brun.

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