Some Anti-American Notes. Well, Not That Anti

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Au milieu de nulle part

Les villes américaines n’ont pas de centre.

Il y a bien ce qui s’appelle un quartier downtown mais c’est un ensemble de hauts immeubles d’affaires autour d’un petit City Hall des années 1930. Ce «centre» est animé aux heures de bureau en semaine et un désert le reste du temps – il y a vingt ans en plus c’étaient des coupe-gorges.

Parfois, il y a un quartier historique, comme à Tampa le quartier d’Ybors City. Sur deux ou trois blocs vous allez trouver des boutiques, des restaurants et des touristes et toute une bimbeloterie ethnique-historique vendue dans un décor de carton-pâte et d’époque. Il y aura même un musée d’histoire avec trois bricoles.

Franchie la frontière du bloc historique, vous vous retrouvez au milieu de nulle part et vous allez passer d’un non-lieu à un autre non-lieu en traversant des espaces indifférenciés scandés de motels, restaurants rapides, zones de boutiques avec de grands parkings. Ces espaces non-centrés commandent une vision des choses elle aussi non centrée.

Il n’y a pas un haut et un bas, des autorités et des sujets mais des communautés d’égaux patrouillées par les flics. Même Washington, ville du pouvoir s’il en est, n’est pas une ville du pouvoir à la manière européenne. C’est plutôt la ville de l’Empire américain, avec ses deux pôles, l’exécutif de la Maison Blanche et des agences et ministères, et la colline législative du Capitole. Toute la ville avec ses bâtiments compacts et énormes (FBI, Pentagone, musées) énonce l’empire du peuple américain. Nous nous avons les jolis Palais de la République et dans les villes de province «la» préfecture. Voyez d’ailleurs comment Sarkozy fait valser les préfets comme autant de petits présidents délégués.

Les «nulle part» américains seraient plutôt sympathiques, n’était qu’on ne sait vraiment pas où on est.

Pour le savoir il faut ouvrir la télévision, voir surgir les publicités pour pizzas ou hypothèques, tomber sur un prêcheur frénétique et entendre le mot sacré «dollar».

Le surnaturel

Chaque fois que je voyage aux USA, je suis sidéré de ces téléfilms ou séries télévisées où il n’est question que de possession, d’exorcisme, de disparition dans l’anti-monde, de créatures lovecraftiennes qui remontent par les fentes des murs. Le samedi soir notamment, sur toutes les chaînes, c’est la nuit des revenants, des morts-vivants et des vampires.

Le surnaturel est partout dans l’imaginaire alors que dans la réalité, il n’y a que de la technologie et de l’organisation. Une superbe technologie et une organisation impressionnante.

Versant organisation, l’autre jour dans un Starbuck de Washington, comme la queue devant la caisse était longue à 9 heures du matin, un employé soudainement détaché du comptoir, comme un joueur détaché de la remise en touche au rugby, remontait la queue joyeusement pour prendre les pré-commandes et les acheminer directement aux employés faisant les cafés. Résultat: l’embouteillage n’était plus à la caisse mais au comptoir où chacun attendait son café customisé… Ça ne changeait rien mais c’était organisé.

Versant technologie, à la boutique de hamburgers, on me donne un reçu pour mon paiement et en plus une étrange soucoupe de plastique noir qui se met à clignoter de tous ses feux et vibrer comme un haricot sauteur du Mexique quand «mon» burger à la moutarde mais sans frites, avec coleslaw mais sans onion rings est prêt, comme s’il y avait une puce électronique dans le burger…

Effectivement la technologie est ici toute-puissante et omniprésente, au point d’ailleurs d’être banale, là où on n’a pas besoin, et de coexister avec des restes d’artisanat là où on ne peut pas faire passer l’électronique. La foi dans la causalité technique est totale.

Le paradoxe qui s’ensuit est que les défaillances de la technologie ne peuvent être comprises que comme l’irruption du surnaturel et du diable. Si tout doit toujours marcher impeccablement, quand ça ne marche pas, c’est que le diable s’en est mêlé.

Nous autres Européens, surtout nous Français mais pas seulement (l’Italie n’est pas mal non plus, et l’Espagne de même), nous sommes plutôt habitués à ce que ça ne marche pas, ou en tout cas pas toujours, ou bien par miracle. Ça marche quand ça ne rate pas. Les causes produisent leurs effets – mais seulement quand elles ne ratent pas: nous sommes habitués à une causalité «faible».

Si votre train arrive à l’heure (ou seulement part) à Marseille, à Rouen, à Mantes ou à Bayonne, c’est que la CGT ou Sud l’a bien voulu, c’est que les caténaires n’ont pas rendu l’âme, c’est que la tempête n’a pas fait tomber des arbres ou des feuilles mortes.

Du coup, pas besoin du surnaturel: l’indétermination est incluse dans la causalité. Et parfois même la causalité est elle-même surnaturelle: en Toscane, s’il pleut, c’est parce que le gouvernement est un gouvernement de voleurs.

Bref, les USA sont parfaitement kantiens: il y a un ordre absolument déterminé des phénomènes et un ordre transcendant du surnaturel. Et si l’un est défaillant, c’est que l’autre y est pour quelque chose.

Ce n’est pas aux USA qu’un président dirait comme Sarkozy lors des derniers vœux aux Français le 31 décembre «j’ai promis que les mêmes causes ne produiraient plus les mêmes effets»: on le prendrait pour le diable en personne.

D’où j’en conclus que Sarkozy, contrairement à ce que disent ses ennemis, est très, très, très français.

Être français, ce n’est pas avoir un béret sur la tête et une baguette sous le bras mais croire que le surnaturel fait partie de l’ordre naturel – être prékantien en quelque sorte.

Tout marche dans la plus stricte légalité républicaine – mais ce n’est pas plus mal s’il faut un petit coup de piston. C’est juste l’ordre des choses…

Tout plastique

Pour des gens qui se déplacent continuellement et qui sont obsédés par l’hygiène, rien de tel que de leur mettre à disposition tout sous plastique ou polyéthylène ou quelque chose du même genre: assiettes, gobelets, couverts, boites, plateaux. Rien de réutilisable, tout jetable, et bien sûr recyclable (au moins en paroles). On se retrouve continuellement à essayer de couper des choses molles avec des instruments mous. Oldenburg avait raison avec ses sculptures molles et flapies.

Contrôles

Entrer aux USA n’est pas une sinécure. Loin de la pagaille de Charles de Gaulle à 6 heures du matin quand la police de l’air pas réveillée fait semblant de contrôler les entrées en France.

Ici, que ce soit à New York ou à Miami, vous allez avoir une ou deux bonnes heures de queue; on va vous photographier, prendre l’empreinte de vos quatre doigts droits puis gauches, puis des pouces. On n’en est pas enore au sexe, mais si jamais un terroriste utilise un jour son zizi, gare à nous.

Les contrôles intérieurs sont encore plus tâtillons, surtout si vous êtes porteur d’un passeport étranger.

Cela dit, la courtoisie est la règle et ça vous change bigrement des contrôles de nos pandores et de leur grossièreté de flics basiques – c’est curieux qu’on forme plutôt bien les officiers de police et qu’on oublie de leur apprendre que la politesse est un élément de non-violence appréciable.

Pour franchir les frontières, l’interrogatoire est approfondi. Je suis bien obligé de constater que faire des conférences au Canada et aux Etats-Unis est une activité bizarre aux yeux des officiers d’immigration. Je ne sais pas si dire que je suis prêcheur arrangerait les choses.

PS. Certains lecteurs, dont les inévitabes insulteurs de onze heures du soir, heure à laquelle apparemment on devrait faire souffler dans un éthylotest pas mal de lecteurs de blogs, m’ont accusé de racisme anti-obèses. Deux choses pour le cas où ils n’auraient pas compris. Si j’ai peur de voir arriver un obèse à côté de moi dans l’avion, c’est parce que les sièges ne sont déjà pas si larges et que les obèses dont je parle débordent littéralement sur leurs voisins d’à côté. Deuxième précision, sous forme de devinette, à l’usage de ceux qui m’accusent d’être raciste: quelle est la différence entre un noir et un obèse? C’est qu’on ne devient pas noir en mangeant.

Désolé d’en rajouter une couche mais le politiquement correct est en train de tuer toute liberté de penser.

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