New York : les bruits
de la ville
plabro@lefigaro.fr
02/03/2009 | Mise à jour : 12:37 | Ajouter à ma sélection
Le regard de Philippe Labro.
Je viens de passer quatre jours à New York.
Trop court pour prétendre vouloir tirer une quelconque analyse sur l’état actuel de l’Amérique, d’autant que cette ville ne reflète pas le pays profond. Elle demeure, néanmoins, le symbole de l’esprit américain : l’énergie, la modernité, et aussi ce chaudron dans lequel se fondent toutes les ethnies, cette multidiversité qui me rappelle la belle phrase d’un immigré :
– Quand je suis arrivé ici, je ne me suis jamais considéré comme un étranger.
Flaubert disait : « La bêtise consiste à conclure. » Alors, pas de conclusion, mais quelques notes, prises au rythme des conversations et de la fréquentation de la machine à moudre images et sensations : cette télévision, insupportable par son incessant matraquage publicitaire, mais instructive puisqu’elle reproduit l’air du temps, ses manies et ses modes, l’évanescence de sa culture.
Il y a les mots. Obama et son « plan de stimulation » est le nom le plus prononcé. Il est omniprésent. Il n’a pas pu jouir d’un seul moment de cette fameuse « lune de miel » que constituent les 100 premiers jours d’une nouvelle présidence. Les républicains ne lui ont fait aucun cadeau, mais il a été assez habile pour faire passer tous les milliards de dollars en vue de redresser l’économie. Adam Gopnik, du New Yorker, qui vient de publier un brillant essai établissant des parallèles entre Darwin et Lincoln me dit, autour d’une soupe « organique » (tout est « organic », ici, tout est bio, on se réfugie dans le culte du fruit, du légume et de la graine roborative) :
– Quels que soient les doutes et les critiques, il ne faut pas oublier que cet homme est soutenu par 70 % de la population. Nous vivons un climat schizophrénique : d’un côté, les Américains traversent la pire des crises, ils en sont terrifiés ; de l’autre, ils savent qu’ils ont la chance d’avoir à leur tête un homme honnête, sincère, suprêmement doué, serein. Il irradie assez de confiance pour qu’elle serve de contrepoids à la tentation du désespoir.
Visions
Il y a les visions. Dans Madison Avenue, que je remonte à pied, sous le soleil froid de février, de la 48e jusqu’à la 80e rue, dans ce qui, depuis trente ans, a été la parade mondiale des marques de luxe, je n’aperçois que le vide. Une sorte de stupéfaction a plombé ces boutiques rutilantes et désertées. Seuls, debout, aussi figés que les mannequins de cire des vitrines, les employés attendent les clientes des beaux quartiers qui ne viendront pas étancher leur soif de shopping et apaiser leur besoin de superficiel. Les taxis, autrefois difficiles à trouver aux heures de pointe, roulent sans accroc. Contraste : le soir même, au Waverly Inn, le restaurant à la mode situé dans le Village, propriété de Gordon Carter, qui dirige le célèbre magazine Vanity Fair, la foule est dense, bruyante, électrisée par le simple fait de participer au rite de l’attente, verre à la main, avant qu’une hôtesse vous accorde le privilège de s’asseoir à une table enfin libre, et l’on entend un plaisantin lancer :
– La crise ? Mais qui parle de crise, ici ?
Il y a les grands disparus de l’actualité : Sarah Palin ! Vous vous souvenez d’elle ? En octobre dernier – ce n’est pas si loin que cela -, elle était la coqueluche des médias, la nouvelle star. Ses lunettes et son chignon, la platitude souriante de ses fadaises faisait le bonheur des imitatrices et la joie des républicains de base. Où est passée Sarah ? La société américaine dévore, ingurgite, puis rejette, ces célébrités temporaires pour en fabriquer d’autres, au rythme des blogs et de YouTube.Ainsi, soudain, surgit, comme un clone d’Obama, un gouverneur de Louisiane nommé Bobby Jindal, d’origine indienne, et qu’on nous annonce comme un futur candidat à l’élection de 2012 – puisque, obnubilés par le lendemain, journalistes et politiques pensent déjà à ce prochain chapitre. Jindal est devenu l’espoir du Parti républicain. L’ennui, c’est qu’il dégaine trop vite. Il vient de se faire rabrouer par son propre camp pour avoir critiqué, de façon « quasi nihiliste », l’enthousiasmant « discours sur l’état de l’Union », prononcé, mercredi par Obama. J’étais rentré de New York, mais j’en ai eu quelques échos :
– Ce fut un grand moment, m’écrira par e-mail un autre de mes contacts, Jaimie Novogrod, jeune producteur de télévision. Obama a réussi à faire oublier ses précédents visages. On l’avait connu repenti (« j’ai déconné »), prophète de malheur (« nous allons droit à la catastrophe »), et voilà qu’on l’a retrouvé optimiste et rayonnant d’autorité. Une sorte de Reagan.
Sursaut
La comparaison n’est pas gratuite. Comme Ronald Reagan, Obama appartient à la classe des « grands communicants ». Ses critiques disent qu’il considère que l’arithmétique est moins importante que l’inspiration. Ses laudateurs affirment qu’il est le seul à pouvoir instiller la confiance. Le génial romancier Tom Wolfe, qui travaille à sa prochaine description de son pays multiforme, une fiction située dans un Miami transformé en capitale cubaine, émet quelques aphorismes :
– Ce qu’il nous faut, c’est un retour à un peu plus de morale. Un peu moins d’avidité et d’orgueil. L’Amérique a failli mourir de s’être trop complu dans les sept péchés capitaux. On devrait revenir à un peu d’éthique. En sommes-nous capables ? Obama peut-il être le grand catalyseur ? Ce n’est pas encore le cas, mais ce n’est pas impossible. Il se tient bien. Il a de la discipline. Et puis, il ne faut jamais sous-estimer nos capacités de sursaut. Nous avons besoin d’un programme aussi ambitieux, exaltant, et créateur d’emplois que celui lancé par Kennedy pour aller sur la Lune. Un projet gigantesque. Mais sur terre, cette fois.
Son épouse, Sheila, ajoute de sa voix douce :
– Ce que j’ai vraiment aimé, chez Obama, ce fut le jour où devant certains membres du Congrès qui l’écoutaient avec scepticisme, il a prononcé ces mots simples et forts : « This is not a game ».
Ce n’est pas un jeu. On ne rigole pas. Les collaborateurs de la Maison-Blanche sont embarqués dans une aventure dont l’issue peut influer sur le reste du monde. Devant eux, me dit l’éditorialiste du Washington Post, Jim Hoagland, se profilent des tâches immenses, mais pas insurmontables :
– Pour moi, qui ai vu passer tant de gouvernements et de présidents, c’est un véritable soulagement que de constater qu’il y a des gens intelligents qui se battent et font du catch avec tous ces problèmes : Pakistan, Chine, une guerre qui finit en Irak, une autre qui enfle en Afghanistan – et cette économie, cette crise ! Deux choses doivent arriver, deux : il faut que l’on nous convainque que les banques sont redevenues sûres. Il faut que nous puissions voir le fond du trou, et que, l’ayant vu, ce qui n’est pas encore le cas, nous sachions alors que cela peut redémarrer.
Fin heureuse
À la télé, c’est la nuit des Oscars. Ne vous demandez pas pourquoi l’académie de Hollywood a décerné huit statuettes à Slumdog Millionaire – ce n’était pas seulement parce qu’il s’agit d’un excellent film. C’était surtout parce que, au contraire des autres longs-métrages en compétition, le scénariste et le metteur en scène ont eu le culot de proposer une fin heureuse. Un « happy ending ». Tout ce que souhaite, sans y croire tout en y croyant, le New York de mes quatre jours, et l’Amérique en son hiver de désarroi profond et de fragile et secrète espérance.
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