Ses connaissances disent de lui qu’il adorait être adulé. Bernard Madoff, l’auteur de la plus vaste fraude financière de l’histoire, dont le montant est désormais estimé à 65 milliards de dollars, avait même poussé l’arrogance jusqu’à n’accepter que les investisseurs prouvant qu’ils finançaient des œuvres de bienfaisance.
Hier pourtant, alors qu’il comparaissait devant le juge Denny Chin à Manhattan pour son «plaider-coupable», Bernard Madoff, droit comme un i et mal à l’aise dans son costume anthracite, avait perdu de sa superbe. A deux reprises, il a été sommé par le juge de «parler plus fort». Son plaider-coupable a été accepté et le juge a ordonné dans le même temps son incarcération immédiate. La sentence du juge sera prononcée le 16 juin. Malgré le plaidoyer de son avocat, Ira Sorkin, en faveur de la prolongation de sa liberté sous caution, le juge a cette fois estimé que le risque de fuite était trop grand. «Il a des raisons de fuir, il a les moyens de fuir […], j’ordonne l’annulation de la liberté sous caution», a déclaré le magistrat sous les hourras et les applaudissements de la petite vingtaine de victimes présentes. «Merci Monsieur Litt [le procureur, ndlr]», a hurlé l’un d’entre eux, rapidement rappelé à l’ordre par le juge.
«Complot». La décision à peine prononcée, Madoff était menotté et rapidement escorté par plusieurs policiers hors du tribunal. Trois mois après avoir confessé à ses fils sa fraude pyramidale, le financier, qui prenait la parole publiquement pour la première fois, a plaidé coupable de fraude, escroquerie, blanchiment d’argent et faux témoignages. Ce plaider-coupable met fin de fait à tout espoir de procès en bonne et due forme.
Quand son tour de parler est venu, Madoff a lu une déclaration commençant simplement par : «Votre honneur, depuis de nombreuses années, jusqu’à mon arrestation le 11 décembre 2008, j’ai dirigé un schéma de Ponzi.» Il s’est ensuite dit «reconnaissant de cette première occasion de parler publiquement de [ses] crimes pour lesquels [il est] profondément désolé et honteux» : «Je savais, quand j’ai commencé cette fraude, que ce que je faisais était faux, en vérité criminel.» Madoff a ensuite affirmé s’être lancé dans ses opérations frauduleuses au début des années 1990, alors que le procureur estime qu’elles étaient en place au début des années 1980 déjà. «A l’époque, le pays était en récession et cela posait un problème pour les investissements», a dit le funambule de la finance en forme de justification. Pendant des années, Madoff dit avoir affirmé à ses clients qu’il avait une stratégie de diversification de ses investissements. «En fait, je n’ai jamais effectué ces investissements», a-t-il résumé. Les transferts d’argent de New York à Londres, et inversement, ne servaient qu’à donner l’illusion d’activités financières. A plusieurs reprises, il a tenu à préciser qu’une partie de ses activités était «légitime, profitable et prospère», sous le regard incrédule de ses victimes, assises derrière lui, qui secouaient la tête sur les bancs du fond de la salle.
A l’évidence, Madoff a donné l’impression qu’il cherchait à protéger ses proches, sa femme notamment, qui a bénéficié de plusieurs versements de ses fonds, ses deux fils et son frère, qui dirigaient une partie de ses opérations financières, en les exonérant de toute participation dans ses activités. Un détail qui n’a pas échappé aux victimes : «Je ne comprends pas pourquoi le complot ne figure pas dans son plaider-coupable. Pour gérer une telle escroquerie, il lui a fallu une armée de gens», a ainsi dit George Nieremberg, l’une des victimes. Exaspéré, ce dernier a commencé par demander à Madoff, s’approchant de lui, s’il avait eu «le temps de regarder ses victimes». Le financier a alors brièvement et pour la seule fois de l’audience tourné sa tête vers celles-ci. Le juge a immédiatement intimé l’ordre à Nieremberg de revenir à son pupitre et de poursuivre son argumentaire.
Eventuels complices.Plusieurs victimes se sont opposées au plaider-coupable. «Avec un procès, nous montrerons aux gens de ce pays actuellement en difficulté et au reste du monde que nous jugeons les responsables. Cela nous permettrait aussi de disséquer cette fraude», a plaidé Maureen Ebel. Le procureur a tenté d’apaiser ses craintes, assurant que l’enquête continuerait aussi bien pour récupérer les fonds (950 millions à ce jour auraient été recouvrés, lire page de droite) et poursuivre, si cela s’avérait être le cas, les éventuels complices. Des assurances qui n’ont guère convaincu.
Curieusement, seule une vingtaine de victimes avaient fait le déplacement et n’occupaient qu’une partie de la salle, autrement envahie de journalistes du monde entier, qui avaient fait le pied de grue devant le tribunal depuis 6 heures du matin. Bennett Goldworth, un agent immobilier qui a vu s’évaporer toutes ses économies dans les fonds Madoff, n’était venu que dans l’espoir de voir l’escroc repartir menottes au poing. «Je suis content qu’il aille enfin en taule, déclarait-il à la sortie du tribunal, même si cela ne me rendra pas mon argent. A 52 ans, je me retrouve à devoir retourner vivre chez mes parents et redémarrer une entreprise, alors que l’économie est en crise. Vous parlez d’un avenir!»
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