Les Etats-Unis et la Syrie tentent d’apurer leur contentieux, par Gilles Paris
Fin d’ostracisme pour la Syrie. Le 11 mars, le président Bachar Al-Assad a retrouvé à Riyad les deux principaux responsables arabes de la région, son hôte, le roi Abdallah, et le président égyptien Hosni Moubarak, qui avaient boudé en 2008 le sommet de la Ligue arabe organisé à Damas.
Le 7 mars, la visite de deux hauts responsables américains dans la capitale syrienne (en mal d’ambassadeur des Etats-Unis depuis 2005) a témoigné d’une volonté américaine similaire d’apurer les contentieux : le choix syrien de camper dans un front conduit par l’Iran et opposé au camp des pays arabes alliés à l’Occident, les accusations de soutien syrien à la guérilla irakienne et d’ingérence de Damas dans les affaires libanaises.
Neuf mois après la normalisation franco-syrienne, la réouverture d’un dialogue entre les Etats-Unis et le régime de Bachar Al-Assad prônée, dès 2006, par le rapport bipartisan Baker-Hamilton sur l’Irak, s’inscrit dans le retour dans les discours officiels des préceptes selon lesquels, dans la région, rien ne saurait être acquis sans la coopération syrienne. Damas, sous la férule d’Hafez Al-Assad, avait toujours su monnayer au mieux de ses intérêts, sa capacité de nuisance selon ses détracteurs. Aujourd’hui encore, le régime syrien dispose de cartes importantes : la relation avec l’Iran, la connexion avec le Hezbollah libanais, et celle avec le Hamas palestinien.
Une partie des sujets de la discorde syro-américaine appartient désormais à l’histoire. La mode n’est plus à Washington – Le Caire et Riyad ont tout lieu de s’en féliciter – à un Moyen-Orient libéré de ses régimes autoritaires. Le début de normalité qui s’esquisse en Irak a fait passer au second plan la question de la porosité de la frontière syrienne pour les djihadistes de toutes obédiences désireux d’en découdre avec l’armée d’occupation américaine. Jusqu’en décembre 2008, le dialogue indirect syro-israélien, par le truchement de la Turquie, a également introduit un élément de nouveauté, même si cette perspective pourrait être remise en cause en Israël avec un nouveau gouvernement intransigeant sur la question centrale du Golan, annexé après la guerre de 1967.
Une normalisation supposerait cependant que les Syriens d’une part, les Américains et leurs alliés arabes d’autre part visent le même objectif. Cela est-il le cas aujourd’hui ? Dans la hiérarchie américaine, égyptienne et saoudienne des dossiers proche et moyen-orientaux – même si ces derniers sont tous imbriqués les uns dans les autres -, l’axe entre Damas et Téhéran constitue sans nul doute aujourd’hui le principal objectif. Contrarier cette relation serait en effet un atout dans le cadre d’un dialogue américain avec le régime iranien pour le détourner de ses ambitions nucléaires.
Téhéran n’a en effet qu’un seul allié arabe de poids qui lui offre par la même occasion une inestimable véritable profondeur stratégique. Mais à Damas, le régime de Bachar Al-Assad, n’est sans doute pas disposé à se dépouiller des cartes, à commencer par l’iranienne, qui lui assurent un statut de quasi-poids lourd régional.
Alors que le roi Abdallah et le président Moubarak garderont en mémoire l’insulte de “moitié d’hommes” adressé par M. Al-Assad à ceux – dont ils étaient – qui critiquaient le Hezbollah pendant la guerre qui opposa la milice chiite à Israël, en 2006, à Washington, les hommes qui ont conduit la politique d’isolement de la Syrie n’ont pas tous quitté les rouages du pouvoir.
L’un des émissaires américains dépêchés à Damas, Jeffrey Feltman, toujours sous-secrétaire du département d’Etat chargé du Proche-Orient, était l’ancien ambassadeur américain présent à Beyrouth pendant la guerre froide américano-syrienne. L’autre envoyé, Daniel Shapiro, récemment nommé au Conseil de sécurité national, avait activement contribué, au Congrès, à l’adoption, en novembre 2003, de sanctions contre la Syrie – le Syrian Accountability and Lebanon Sovereignty Restoration Act – sur lesquelles, compte tenu de l’effet de cliquet qui joue toujours en la matière, il sera difficile de revenir. Il en sera de même pour la présence du régime syrien sur les listes du département d’Etat des pays soutenant le terrorisme. Enfin, les Etats-Unis n’envisagent toujours pas de suivre la Grande-Bretagne qui a décidé de nouer un dialogue avec le Hezbollah libanais, sur le modèle français.
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, s’est montrée prudente sur les perspectives de l’initiative américaine lorsqu’elle a annoncé la visite à Damas des deux responsables américains. La Syrie n’est certainement pas prête à bouger sans avoir obtenu au préalable des garanties sur la pérennité de son régime ainsi qu’une aide financière pour colmater les brèches d’une économie encore trop peu réformée.
Contrairement à la France, parfois accusée d’avoir renoué à vil prix avec la Syrie – l’élection d’un président de la République et la normalisation diplomatique entre Beyrouth et Damas -, les Etats-Unis et leurs alliés arabes préféreraient sans doute que le régime syrien soit le premier à faire des gestes, pour “mériter” cette normalisation. Compte tenu de ces calculs et de ces non-dits, les retrouvailles du 7 et du 11 mars ne sont donc pas encore garanties.
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