The "Paper-Less" Journalists…

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Âgé de 145 ans, malade et endetté, le Seattle Post-Intelligencer est mort. Le journal qui rejoignait plus de 100 000 lecteurs par jour a publié son dernier numéro papier hier, son nom s’ajoutant à une triste liste qui n’en finit plus de rejoindre le cimetière des journaux disparus.

Symboliquement, le journal est encore vivant puisque, tous les jours, il offrira à ses lecteurs sa version virtuelle en ligne.

Sauf que…

La salle de rédaction qui alimentait les pages du Seattle Post-Intelligencer était constituée de 170 journalistes, photographes et pupitreurs. Désormais, dans la salle de rédaction dévastée, ils ne seront plus que 20 à tout faire: du reportage, de la rédaction, de la correction, de la photo et de la vidéo. Vingt sans-papier, polyvalents et polymorphes, obligés de communier quotidiennement à l’autel de la souplesse multiplateforme. Avec des ressources aussi réduites, comment voulez-vous que l’information produite soit de la même qualité et de la même teneur nutritive que celle qu’on retrouvait en grosses lettres noires sur le papier blanc?

Récemment, de futurs étudiants en journalisme m’ont demandé comme je voyais l’avenir du journalisme. Quel avenir? ai-je répondu un peu brutalement. En voyant leurs mines patibulaires, j’ai tenté d’atténuer la charge en expliquant que les choses changeaient si vite et si radicalement ces temps-ci, que ni moi ni personne n’était en mesure de prévoir l’avenir du journalisme. J’aurais pu ajouter que celui qui prétendait avoir la réponse était un fumiste. Jacques Godbout et Florian Sauvageau l’ont fait à ma place dans le documentaire Derrière la Toile: le quatrième pouvoir qui a été présenté hier soir à l’UQAM et sera diffusé la saison prochaine à l’antenne de Radio-Canada.

Trente ans après le documentaire Derrière l’image, qui montrait l’effet de la télévision sur l’évolution du journalisme, Godbout et Sauvageau ont voulu explorer l’influence de l’internet sur l’information d’aujourd’hui.

Avant de filer à New York, ils ont fait le tour du jardin médiatique québécois, sondant aussi bien la pensée de Pierre Karl Péladeau que celle de mes collègues Sophie Cousineau et Patrick Lagacé, tous les deux heureux d’avoir pris le virage blogue en dépit des méchants malades qui sévissent parfois dans la blogosphère et bousillent la bonne marche des échanges et des débats. Toujours au Québec, un spécialiste de la communication et fervent croyant de la religion cathodique explique à la caméra qu’autrefois, un article publié dans le journal sonnait la fin de la discussion alors qu’un texte sur le web marque maintenant le début de la discussion. Fort bien. Mais encore?

Pas grand-chose en fait. Le documentaire finit là où il aurait dû commencer sans doute parce qu’il a été tourné trop tôt, avant le début de l’hécatombe qui allait pousser le L.A Times, le Chicago Tribune et une foule d’autres quotidiens sous la protection de la loi sur la faillite. Même le New York Times est aujourd’hui obligé de pactiser avec le diable, en la personne du millionnaire mexicain Carlos Slim.

Si Godbout et Sauvageau avaient attendu une année de plus, ils auraient pu documenter l’avènement des villes sans-papier, des journalistes sans-papier, mais surtout des salles de rédaction amputées de leurs forces vives et promises à un silence cybernétique.

Un an de plus et ils auraient constaté que le problème n’est pas le web et ses espaces rédactionnels illimités, qui font qu’un journaliste peut écrire des textes de 1000 mots comme de un million de mots, sans jamais être obligé de couper ou de compresser. Non, le problème, c’est l’érosion et l’éventuelle disparition des vraies salles de rédaction pourvues d’une masse critique de journalistes payés pour trouver la nouvelle, la rapporter et la raconter.

La fin du journal de papier est triste, mais le journalisme n’en mourra pas. Le vrai danger qui guette le journalisme et ses sans-papier, c’est une armée réduite à sa plus simple expression, où chacun court plusieurs lièvres en même temps et accomplit cinq tâches pour le prix d’une, comme les rescapés du Seattle Post-Intelligencer.

Ça, c’est dans le meilleur des scénarios. Dans le pire des scénarios, d’ici six mois, un an, les 20 rescapés du Seattle Post-Intelligencer seront remerciés de leurs services et remplacés par deux sous-traitants en Inde, payés une bouchée de pain naan.

En prévision de ce scénario catastrophe, j’invite Godbout et Sauvageau à préparer dès demain une suite à leur documentaire. Et je leur souhaite que le jour où elle sera terminée, il restera encore des journaux pour en parler et une télévision publique pour la diffuser.

LA MORT VIRTUELLE DE NATASHA – À 12 h 38 hier, Time Out New York, une site culturel new-yorkais, a tué l’actrice Natasha Richardson. Littéralement. Sous sa photo, les lettres RIP suivies de l’année de sa naissance et de sa mort ne laissaient aucun doute. Une heure plus tard, pourtant, sur le même site, Natasha était maintenant vivante, mais son cerveau, cliniquement mort. À la fin de l’après-midi, l’empressement des vautours à se nourrir des restes d’une femme, atteignait un sommet disgracieux et contradictoire, certains sites la disant seulement blessée, d’autres dans un état critique. Un jour, il faudra suivre avec une caméra l’évolution d’une histoire sur la Toile (d’araignées) et mesurer le degré d’inhumanité qui peut s’emparer des sans-papiers quand ils envisagent l’information non pas comme un instrument de liberté, mais comme une vulgaire et violente course de chars surdimensionnés.

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