Barack Obama suscite un grand espoir parmi les tenants d’un islam modéré, explique Nadia Khouri-Dagher auteur de «l’Islam moderne, des musulmans contre l’intégrisme» (1)
La Croix. Lundi 6 avril en Turquie, le président Barack Obama a annoncé un programme pour venir en aide aux pays musulmans. Comment est-il perçu et quelles sont les attentes à son égard dans le monde arabe ?
Nadia KhourI-Dagher : Il y a un immense espoir que la politique américaine change vis-à-vis des pays arabes. George W. Bush était haï à cause de la destruction de l’Irak et de son inaction pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Barack Obama, qui est de père musulman – son second prénom est Hussein – est considéré un peu comme un « des leurs ». Et, de par son passé, son travail dans les banlieues, il est vu comme ayant plus de compassion et d’intérêt pour les pauvres. L’islam moderne représente un courant connu aux États-Unis. Beaucoup de ses penseurs y sont réfugiés, organisant des colloques sur les campus.
Comment les tenants de l’islam moderne se font-ils entendre dans les pays arabes ?
À travers la presse écrite et surtout les médias en français, plus libres que ceux en arabe. Bien qu’ils s’adressent à une élite, ils sont influents. En Algérie, des journaux comme El Watan, Le Matin, au Maroc, TelQuel, qui a sorti une version en arabe, Nichane, le journal Hebdomadaire, l’hebdo Réalités, en Tunisie : tous prônent un islam modéré. L’autre moyen d’expression est Internet où sont rediffusées des informations de la presse occidentale reprises par les médias au Maghreb.
La sociologue tunisienne, figure de l’opposition, Khadija Chérif, qui n’a pas accès aux médias à cause de la censure, s’exprime sur Internet, via des interviews données à des médias français, mises ensuite sur le Net. La France joue un rôle clé au Maghreb. Tout comme les résistants français étaient aidés par l’Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale, les musulmans modérés et laïques sont aidés par l’Occident et les médias français. Ils ne sont plus clandestins. En Algérie, au Maroc ou en Tunisie, les sociétés civiles réagissent de façon assez forte parce qu’avant d’être touchées par l’islamisme, elles étaient engagées dans le modernisme. C’est au Maroc que les associations ont le plus de liberté pour agir. Le roi Mohammed VI suit une politique dans ce sens. Avec des limites certes.
Quel est le rôle des femmes ?
Elles ont des réseaux très puissants pour combattre les intégristes et des soutiens financiers des organisations internationales. Les ONG de femmes au Maghreb, nées il y a trente ans, après la conférence des Nations unies à Mexico sur les femmes, en 1975, pénètrent toutes les couches de la société et rassemblent aussi bien des juristes, des médecins, des militantes que des paysannes illettrées. Elles ont été les premières à réagir contre l’islamisme qui les a prises pour cible. Au Maroc, par exemple, la Ligue démocratique des droits des femmes, qui regroupe des dizaines de milliers d’adhérentes, fait un travail formidable. Comme les islamistes, ses membres vont dans les villages où elles distribuent des cassettes audio en arabe dialectal marocain, contenant des prêches modernes des nouveaux penseurs.
Comment interpréter la recrudescence du port du voile ?
À Casablanca comme au Caire, les femmes dans leur majorité sont soit des femmes de migrants ruraux, soit migrantes rurales elles-mêmes. Pour elles, le voile est une façon de se protéger contre la ville, contre le harcèlement. Il y a vingt ans, les filles étaient moins voilées, mais aussi moins actives. Aujourd’hui, 60 % des étudiants à la fac d’Alger sont des étudiantes. Des femmes médecins, des docteurs en biologie sont voilées, une championne de box au Maroc est voilée. Pour ces femmes, le voile n’est pas un signe d’appartenance idéologique. C’est un signe de transition sociologique de la campagne à la ville. »
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