A Black in theWhite House

Edited by Robin Silberman

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Un Noir à la Maison-Blanche

A Washington, devant les grilles de la Maison-Blanche, les foules se pressent. On vient en famille : grands-parents, parents, enfants et, parmi eux, beaucoup de représentants de la communauté afro-américaine. Leur présence traduit encore leur joie, teintée d’étonnement, « un président noir à la Maison-Blanche ! ».

A Monticello, en Virginie, à moins de deux heures de Washington, résidence de Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, les foules se pressent également. Mais il n’y a pas un seul visiteur noir. Il est vrai que Jefferson, cet adepte de la philosophie des Lumières, était aussi un planteur du Sud qui possédait plus d’une centaine d’esclaves.

La Maison-Blanche, Monticello – l’opposition entre le présent et le passé -, le symbole est presque trop beau et trop simple. Pourtant tous les sondages le démontrent, le rapport entre les communautés a changé aux Etats-Unis depuis l’élection de Barack Obama, et surtout celui entre Blancs et Noirs. Les personnes sondées parlent d’un nouveau climat, d’une ambiance plus confiante. Les Afro-Américains laissent derrière eux, pour la première fois, le sentiment d’humiliation qui a été le leur depuis toujours. Personne n’exprime mieux leur émotion que Michelle Obama, l’épouse du président. « Qui aurait pu penser qu’une descendante d’esclaves devienne un jour la première dame des Etats-Unis ? » dit-elle avec la simplicité qui lui a gagné les coeurs d’une immense majorité d’Américains. Elle est en fait plus populaire encore que son mari. C’est aussi le regard de la communauté blanche sur la communauté noire qui a changé. Je posais l’autre jour, à une étudiante issue des élites traditionnelles de Boston, une question politiquement incorrecte, en lui demandant ce que représentait pour elle « la présence d’un président noir à la Maison-Blanche ». Sa réponse fut immédiate : « Mais je ne le perçois pas comme noir, il est le président, mon président et c’est tout. »

Il existe incontestablement aux Etats-Unis, depuis l’élection de Barack Obama, un climat apaisé dans les relations entre communautés, et cela en dépit d’une situation économique et sociale difficile. Mais un événement, pour symbolique et exceptionnel qu’il soit, ne suffit pas à lui seul à effacer des siècles d’injustice et d’humiliation. Dans la grande librairie d’Harvard, la « Coop », si l’on cherche des ouvrages sur la communauté afro-américaine, il faut aller au rayon des études régionales, à la suite des études sur l’Afrique, comme si le premier terme « Afrique » l’emportait toujours sur le second « Amérique ». Quand les études sur la communauté afro-américaine rejoindront-elles les rayons sur l’histoire des Etats-Unis ?

L’esclavage a officiellement pris fin aux Etats-Unis en 1862 et a été confirmé par la victoire des Etats du Nord sur ceux du Sud en 1865. On parle de « guerre civile » parce que les partisans de l’Union l’ont emporté sur les Confédérés. Mais l’esclavage sous des formes multiples et insidieuses s’est poursuivi, tout autant au Nord qu’au Sud, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Et il a fallu attendre la présidence de Lyndon Johnson et l’année 1964 pour que les droits civiques des Noirs soient pleinement reconnus et que soit mis fin, de facto, à l’apartheid qui régnait toujours dans les Etats du Sud.

Aujourd’hui encore, les statistiques le démontrent amplement, c’est dans la communauté afro-américaine que le pourcentage de chômeurs et de détenus en prison est le plus élevé… et que l’espérance de vie est la plus faible. Collectivement cette communauté a pu retrouver dignité et espoir, mais, individuellement, c’est au sein de cette communauté que l’on trouve le plus de souffrances et d’inégalités.

Dans l’école pour enfants méritants de la communauté noire où elle enseigne à Washington, la fille d’amis très proches me disait à quel point ses élèves vivent dans une sorte de ghetto. Elle est la seule Blanche qu’ils connaissent et fréquentent. Pour eux, la présence d’Obama à la Maison-Blanche, dans leur ville de Washington, mais si loin d’eux, demeure encore largement abstraite. La réussite d’un homme exceptionnel ne saurait, à elle seule, résoudre un traumatisme si profond et si ancien, produit de l’esclavage.

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