Adair Fincher
Les puissants de ce monde ne peuvent pas indéfiniment protéger un régime israélien qui bafoue les valeurs qu’ils prônent.
Barack Obama prononcera un discours très attendu le 4 juin au Caire. Il s’adressera au monde musulman. Après ce discours, le monde arabe, échaudé, jugera le nouveau président aux actes, mais il faut prendre conscience que l’on doit de même agir et assumer nos responsabilités. Le monde arabe et musulman est à la croisée des chemins. La position de l’opinion publique américaine, européenne et mondiale commence à changer. La cause palestinienne est perçue comme juste, et les excès flagrants de la politique israélienne sont appréhendés non seulement comme un danger pour la stabilité du monde, mais comme intenables, compte tenu des principes «démocratiques» de l’Occident. La crise mondiale du libéralisme sauvage aidant, c’est une opportunité pour tenter de favoriser les solutions justes et le multilatéralisme. Les puissants de ce monde ne peuvent pas indéfiniment protéger un régime israélien qui bafoue les valeurs qu’ils prônent. Les contradictions de régimes arabes archaïques, des réactions aveugles face à l’occupation, l’instrumentalisation des religions et une mauvaise communication empêchent de transformer l’essai. La résistance intelligente alliée à une communication stratégique est vitale, elle concerne l’avenir de l’humanité, pas seulement celui des Palestiniens.
Une nouvelle dynamique peut s’enclencher
C’est dans le danger et la tourmente que le changement et le salut sont possibles. Le réveil est requis, avant qu’il ne soit trop tard. Barack Obama et l’actuelle administration savent maintenant que le dossier israélo-palestinien bloque toute avancée pour un nouvel ordre international cohérent et alimente la mondialisation de l’insécurité. De ce fait, le principe de la création effective d’un Etat palestinien est la question prioritaire sur laquelle sera jugé Obama pour son premier mandat. Ce n’est pas par philanthropie que Barack Obama peut contribuer au règlement de cette question centrale pour l’avenir du monde, mais parce qu’il considère avec raison que désormais l’intérêt objectif des USA l’exige. Sa marge de manoeuvre n’est pas large, compte tenu des préjugés, de l’aveuglement et du poids des puissants lobbys et milieux qui défendent des intérêts étroits. Mais, si les Arabes rassurent les Européens divisés, se réforment et sortent de l’immobilisme et du sous-développement politique, une nouvelle dynamique peut s’enclencher que nul ne pourra retenir. Les conditions du changement sont pratiquement réunies; si on sait saisir l’opportunité. Barack Obama a signifié son intention de régler ce problème au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, un politicien de la pire espèce, qu’il recevait à la Maison-Blanche, le 18 mai.
Le président américain, notamment ce début juin en Egypte, va certainement vouloir apparaître dans le rôle d’arbitre et signifier aux Arabes leurs droits mais aussi leurs devoirs. Il a raison d’espérer des Arabes un changement de leur politique attentiste, qui s’enferme dans la victimisation, sans agir efficacement pour sortir du sous-développement politique et économique. La volonté américaine de dialoguer et de faire sortir le monde arabe de sa torpeur est salutaire, car depuis vingt ans au moins toutes les propositions et idées pour réformer le monde arabe ont été refusées sans qu’aucune alternative ne soit présentée par les Arabes eux-mêmes, sous prétexte de refus d’ingérence et de priorité à la «stabilité». La question palestinienne n’avancera que si le monde arabe gagne en légitimité et crédibilité.
La cause palestinienne semble dans une impasse tragique, mais c’est Israël qui pratique la fuite en avant et l’extrémisme suicidaire. Les protagonistes de ce conflit, à cause des difficultés abyssales d’Israël à sortir du bellicisme, semblent, dit-on, incapables de parvenir à un règlement définitif, mais le temps est pour les Palestiniens, malgré toutes les actions destructrices d’Israël. Israël considère qu’en cas de fin du conflit avec les Palestiniens et les Arabes elle risque d’imploser, ayant besoin d’un ennemi pour durer. C’est cette psychologie qu’il faut changer. D’autant que la loi du plus fort et la haine sont vouées à l’échec. Une synergie USA, UE, Monde arabe peut régler le problème, dans l’intérêt des Israéliens et des Palestiniens. Sinon demain, à terme, le prix à payer sera si élevé que nul ne peut imaginer ce qui va se passer.
La mauvaise conscience des Européens
Le dossier palestinien est le test de vérité de l’Occident. Plus de soixante années après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la mauvaise conscience des Européens à n’en plus finir, va-t-on, oui ou non, regarder la réalité en face, dire et pratiquer le droit, au lieu de soutenir l’injustifiable? L’Europe, qui s’est construite, en ces temps modernes, plus que quiconque, sur des principes de droit, de justice et de démocratie, est face à ses responsabilités. Saura-t-elle dépasser son passé, sa subjectivité, son prisme déformé, qui ruinent sa crédibilité, pour amener Israël à cesser la colonisation et accepter à ses côtés un Etat palestinien, tout en garantissant la sécurité à chacun? Les Arabes doivent réapprendre à communiquer, pour se faire entendre des Européens, des citoyens israéliens, eux aussi traumatisés, et aider Barack Obama. Seul, ce dernier ne pourra pas réaliser ce qu’espère l’immense majorité des opinions dans le monde: la création d’un Etat palestinien. Le consensus sur le soutien américain à Israël s’effrite avec l’arrivée de jeunes citoyens épris de justice dans l’opinion américaine. Selon un sondage américain publié à l’occasion de la rencontre entre Netanyahu et Obama, la majorité des Américains sont favorables à des pressions sur Israël pour faciliter l’établissement d’un Etat palestinien; 80% des électeurs de Barack Obama estiment qu’il est temps d’exercer des pressions sur Israël, et tous électeurs confondus, 45% sont favorables à des pressions réelles.
Si des divergences existent non seulement entre démocrates et républicains sur le conflit israélo-palestinien, et aussi au sein des opinions des élites, un consensus commence à se dessiner au sein de la nouvelle administration. Chacun attend de voir comment Obama va tenter d’imposer son point de vue. Tout le monde sait qu’après l’échec de Clinton à ce sujet et l’aveuglement de Bush, Obama n’a pas le droit à l’erreur. D’où l’importance de l’aider en mettant fin entre autres aux divisions. Les déceptions et les promesses non tenues ont poussé des jeunes Palestiniens à l’extrémisme et d’autres puissances régionales sont entrées en jeu. Les déclarations occidentales ont perdu tout crédit, contredites sur le terrain par la politique du deux poids, deux mesures. Les mensonges des dirigeants israéliens et leur politique arrogante de colonisation, qui se poursuit, tuent tout espoir de coexistence dans cette région et dans le monde. Le partage de la terre fixé en 1948 et le droit international sont bafoués, de manière brutale et flagrante depuis 1967 avec l’annexion par la soldatesque israélienne des terres arabes et d’El Qods Charif, Jérusalem, et chaque jour sur la partie qui revient aux Palestiniens. La viabilité politique, territoriale et économique est liquidée, pour laisser place à un apartheid et des bantoustans. Peu de politiques sont confiants, cependant, compte tenu des enjeux, il est démentiel de croiser les bras et d’attendre que des miracles s’opèrent, car c’est l’avenir de la liberté et du vivre-ensemble qui sont sur la balance. Barack Obama pour le moment parle clairement: il a affirmé que les engagements pris par les gouvernements israéliens précédents devaient être respectés et que les colonisations devaient être «stoppées».
Alors que, d’une part, Israël détient illégalement des centaines de bombes nucléaires, et que, d’autre part, nul ne peut empêcher un pays de détenir le nucléaire civil, il est inquiétant que le président américain se soit enfermé dans un agenda au sujet de l’Iran: il a affirmé qu’à «la fin de l’année», il réexaminerait sa stratégie à ce sujet, même s’il a précisé que ce dossier n’est pas prioritaire. Israël a mis en avant cette question pour faire diversion et préparer l’opinion publique à une éventuelle guerre dite «préventive». Faire peur, en termes de surenchère est une vieille tactique israélienne pour paralyser ses partenaires.
La poursuite de la colonisation et l’impunité des Israéliens
Netanyahu, pour tenter de marginaliser la question palestinienne, va certainement proposer à la Syrie des négociations et faire croire qu’il facilite la tâche d’Obama dans la région. Le moment de vérité est-il venu? Robert Malley, ancien négociateur de Bill Clinton, démis récemment de ses fonctions parce qu’il a eu le courage de rencontrer des éléments du Hamas, élus par leur peuple, répond par la négative, lors d’un entretien télévisé sur une chaine américaine. La poursuite de la colonisation et l’impunité des Israéliens continuera jusqu’à ce que les Arabes assument leurs responsabilités et contribuent à faire basculer dans le bon sens l’opinion publique américaine, européenne et israélienne.
Il s’agit de contrecarrer les raccourcis de ceux qui répandent la peur, prônent le choc, et diabolisent les musulmans pour empêcher que la colonisation soit stoppée. Les islamophobes empêchent de déconstruire le regard déformé entre l’Occident et l’Orient, ne clarifient en rien les causes des problèmes, ajoutent à la confusion. Ils dédouanent les situations d’agressions, et refusent le droit de contester et de résister contre l’oppression et les injustices. Si trop d’actes inhumains sont perpétrés par ceux qui usurpent le nom de l’Islam, et que les voix opposées ne paraissent pas assez audibles, il est partial d’oublier 15 siècles d’histoire, de pratiquer l’amalgame, et inadmissible de faire croire que le monde musulman est monolithique. Contresens et amalgames irriguent les accusations de ceux qui s’inventent un nouvel ennemi. Dénigrement qui cherche à faire croire que l’agression criminelle de Ghaza est un acte de légitime défense. Ainsi, le discours dominant stigmatise, produit l’allégation que les musulmans méritent tout ce qui leur arrive, que seul est un «fascisme» le terrorisme des faibles, et non point la sauvagerie du terrorisme des puissants. Est détourné le débat sur les problèmes de fond qui minent notre monde. Le monde arabe peut-il comprendre que le temps du changement est venu, ou que celui de la descente aux enfers s’accélérera?
(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net
Mustapha CHERIF (*)
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