L’information est tombée, lundi 1er juin, vers 9 heures du matin : GM, dont la faillite était en train d’être prononcée au même moment, et Citigroup, la grande banque renflouée par l’Etat, seront retirés de l’indice industriel Dow Jones, qui regroupe les trente premières sociétés cotées à Wall Street. Ils en étaient des piliers – voyez la force des clichés : on allait presque écrire “inamovibles”. Jusqu’en 2007, GM restait le premier constructeur automobile au monde ; Citi, la première banque de dépôt. Les voilà, du jour au lendemain, rayés du Saint des saints. Nationalisés, qui plus est.
Car rien ni personne n’est inamovible. La preuve : GM en faillite ? C’était de l’ordre de l’impensable. Never say never… Ne jamais dire “jamais”. C’est une de ces autres expressions clichés qu’on dit représentatives du caractère de l’Amérique, le-pays-où-tout-peut-arriver.
Tout de même, dans un premier temps, GM en faillite… On a du mal à déglutir. Même si, de renflouement public en énième vague de licenciements, on a eu du temps pour s’y préparer mentalement. Lorsque surgit l’issue fatale, on est d’abord emporté par un torrent d’émotions. Pourtant, ce qui frappe le plus, dans ce pays où l’idéologie le dispute au pragmatisme, c’est le côté “gestion de crise” généralisée. Une sorte de mise en scène médiatisée où, très vite, the show must go on… On passe à l’ordre du jour.
Dans une première phase, on fait assaut de grandiloquence. “La chute d’un géant américain”, titre le New York Times. Le Wall Street Journal annonce “une ère nouvelle” dans l’automobile.
A droite, sur Fox Business News, la vindicte se poursuit depuis l’élection de Barack Obama, dans une veine quelque peu hystérique et déphasée. On y entend parler de “l’effroi” que suscite la “poussée socialiste” au coeur de l’Amérique.
MSNBC, le rival de gauche, évoque la nécessaire “refondation” de l’industrie américaine. Tous jugent l’événement incommensurable ; presque un deuil. C’est un temps de phrases définitives, de celles qu’on aura vite oubliées. L’éditorialiste du Wall Street Journal a trouvé son titre : “Obama Motor” a supplanté General Motors. Le président est accusé de faire renaître la bonne vieille “politique industrielle que même les Français ont fini par abandonner il y a longtemps”. Les Français ! C’est dire s’il a sombré bas…
Le patron du Parti républicain, Michael Steele, s’époumone contre “un nouveau cadeau aux copains du syndicat qui ont financé la campagne présidentielle” de qui vous savez. Larry Klayman, président de Freedom Watch, un groupe de réflexion ultraconservateur jusque-là obnubilé par la seule menace iranienne, supplie d’agir “pour tenter de tuer ce plan Obama insensé” : la phobie de l’investissement public, encore et toujours.
C’est aussi un temps où il ne faut pas complètement désespérer les salariés de l’automobile, dont le moral est au plus bas. Le Detroit Free Press explique : “D’autres firmes ont survécu à ça et ont ensuite réussi.” Et de juger que GM bénéficie plus qu’aucun autre des atouts pour y parvenir. A l’appui de ses assurances, le quotidien cite les propos d’un spécialiste texan des liquidations judiciaires, John Penn, ex-président de l’American Bankruptcy Institute. Faites faillite, et vous verrez : on en sort rajeuni, aminci, prêt pour de nouvelles aventures.
C’est enfin un temps où on entend quelques questions essentielles ou très prosaïques. Dont celles-ci : le sauvetage de GM préfigure-t-il un retour à une politique industrielle publique volontariste aux Etats-Unis ? Dans la vente d’Opel, le Trésor américain n’a-t-il pas montré une oreille protectionniste inattendue ? Dans quelle mesure la restructuration de GM, avec ses 60 milliards de dollars de fonds publics, ses vastes fermetures de sites, va-t-elle privilégier les enjeux politiques à la rationalité économique ?
Dès lundi, dans le Free Press, divers élus du Michigan (tous démocrates) expliquaient chacun pourquoi sa circonscription mérite plus que d’autres d’être préservée des coups à venir…
A Lansing, capitale du Michigan, l'”Etat-voiture”, ils n’étaient lundi que 500 à suivre une marche intitulée “Sauver l’espoir”. Ils ont entendu la sénatrice Debbie Stabenow leur dire : “Les temps sont durs, mais durs, nous le sommes nous aussi.”
A Livonia, où la fermeture du site GM doit avoir lieu dès ce mois, le maire, Jack Kirksey, expliquait à 300 de ses ouailles : “Ce n’est pas le moment de pleurer sur soi mais de se démener pour trouver des entreprises qui amèneront ici de nouveaux emplois.” On y croira ou pas, et quand on a vu Flint, on peine à voir les entreprises se précipiter. Cela n’empêche pas d’admirer le volontarisme.
Il y a dans ce capitalisme qui ignore le charme discret de la bourgeoisie, ce capitalisme “do or die”, agir ou mourir, une authenticité impressionnante, brutalité incluse.
Au fond, il n’est pas question de s’appesantir longtemps sur son sort. Le rituel obligé et les trémolos qui accompagnent le malheur laissent vite place à la seule question digne d’intérêt (sur le plan industriel, s’entend, car en termes humains, c’est une autre affaire) : la faillite, d’accord, mais “est-ce que ça va marcher ?”. Le Wall Street Journal pose la question dès le premier paragraphe de son article en “une”.
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