Brack Obama n’est pas africain. Pourtant, jamais aucun président américain n’a personnifié à ce point la fierté et l’espoir d’un renouveau sur le continent noir. “Bienvenue à l’éminent fils de l’Afrique ! Bienvenue à la maison !”, proclame une commentatrice de la télévision du Ghana, où il doit prononcer, samedi 11 juillet, un discours sur l’Afrique.
Sur aucun continent probablement, son ascension puis son élection n’ont suscité un tel degré d’enthousiasme. Revanche contre le mépris de l’homme noir et donc de l’Africain, le triomphe du sénateur Obama a été perçu aussi comme le symbole d’une immense espérance démocratique pour l’Afrique elle-même. Qu’un politicien inconnu, au pedigree minoritaire, puisse, à la surprise générale, être réellement choisi par les électeurs, voilà qui ne risque guère de survenir dans la plupart des pays d’Afrique.
Transparente, libre, l’élection américaine a résonné comme une opération de réhabilitation planétaire des Noirs et, de Dakar à Nairobi, comme un appel au réveil d’une confiance en soi souvent érodée. Alors que le continent vit à l’heure des coups d’Etat, des présidents à vie et des guerres ethniques, le vent d’Amérique est porteur d’audace démocratique et d’ouverture politique. A cet égard, le choix du Ghana, qui a connu, en décembre, sa deuxième alternance pacifique en huit ans, est limpide. M. Obama a opté pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest comme unique étape en Afrique. Le Ghana a été préféré au Kenya, pays de naissance de son père, où la dernière élection a donné lieu à un sanglant conflit ethnique, et au Nigeria, où la corruption transforme la manne pétrolière en malédiction.
La corruption, le tribalisme, le sénateur Obama avait précisément choisi ces thèmes pour le vigoureux discours qu’il avait prononcé en août 2006 à l’université de Nairobi (Kenya). Se présentant comme “votre ami, votre allié, votre frère”, le futur président avait pointé “l’incapacité du Kenya à se doter d’un gouvernementtransparent et fiable” et désigné la corruption comme “un des combats majeurs de notre époque”. Le retard de l’Afrique ne s’explique pas seulement par la colonisation, avait-il asséné, avant de mettre en cause “l’idée désastreuse selon laquelle le but de la politique serait de capter la plus grosse part du gâteau au bénéfice de sa famille ou de sa tribu”. Un message qu’aucun politicien blanc occidental n’oserait délivrer. Mais que bien des Africains acceptent, voire approuvent dans la bouche de leur nouveau héros américain.
Au-delà des mots, il reste à savoir ce que le président américain fera de l’immense courant de sympathie qu’il suscite en Afrique et de cette capacité à énoncer des vérités gênantes pour une multitude de gouvernants en place.
C’est là qu’intervient l’ambiguïté du personnage largement perçu sur le continent noir, à tort, comme “Obama l’Africain”. Car si l’histoire familiale du président américain lui permet de saisir mieux qu’aucun de ses prédécesseurs la complexité de la culture africaine et, peut-être, d’être écouté, M. Obama est avant tout un pur produit de l’Amérique. Dans son livre Les Rêves de mon père (Presses de la Cité, 2008), il laisse entendre qu’il ne s’est jamais senti autant américain qu’au retour de son premier voyage au Kenya, sur les traces de son père.
Son souci de ne surtout pas apparaître comme le président des Noirs américains devrait le conduire à une grande prudence et à une certaine continuité en matière de politique africaine. D’autant que le continent noir est probablement celui où son prédécesseur, George W. Bush, s’est révélé le moins impopulaire, renforçant les budgets de la lutte contre le sida et créant un vaste programme d’aide lié à la bonne gouvernance. Par contraste, la politique africaine du démocrateBill Clinton, échouant en Somalie, niant longtemps le génocide rwandais et prétendant promouvoir de nouveaux dirigeants vertueux qui se sont souvent révélés être des tyrans, n’a guère laissé de brillants souvenirs.
Aujourd’hui, alors que les Etats-Unis affrontent deux guerres et une crise économique, l’Afrique n’apparaît nullement parmi les priorités de la Maison Blanche et les budgets d’aide ont peu de chance d’être réévalués. Après tout, le continent noir ne représente que 2 % du commerce extérieur américain et, depuis la fin de la guerre froide, l’Afrique n’est plus un continent aussi stratégique. Les premiers actes de M. Obama semblent indiquer que, enclin à la confiance envers l’ONU, il pourrait s’en remettre à elle pour intervenir au Darfour et dans l’est du Congo-Kinshasa.
L’Afrique est désormais au coeur de deux autres enjeux centraux pour les Américains : terrain d’entraînement pour le terrorisme islamiste (Sahara, Somalie), elle fournit aussi 20 % du pétrole consommé aux Etats-Unis. Les programmes américains d’instruction militaire dispensés dans les pays riverains du Sahara et les bonnes relations avec les producteurs d’or noir continueront de figurer parmi les priorités. Dans un contexte où la Chine se pose en alternative aux Occidentaux sans exiger la moindre contrepartie démocratique, les gouvernants du continent pourraient se montrer moins réceptifs aux pressions du président américain, en dépit de son image d'”Africain”.
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