A Saint Is Born

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Il y a un peu plus d’une semaine, Michael Jackson a quitté le Staples Center de Los Angeles debout sur ses deux pieds. Il y est revenu mardi après-midi, couché dans un cercueil doré, en compagnie de ses parents, de ses trois enfants, de ses amis, de ses fans et de ses célèbres frères, arborant tous le même uniforme : cravate jaune, rose à la boutonnière et main gantée de brillants argentés.

La cérémonie des adieux retransmise en directe sur des millions d’écrans, petits ou géants, a duré plus de deux heures. Et si deux heures ne pèsent pas lourd dans la balance de toute une vie, c’est pourtant tout ce dont les amis et alliés de Michael Jackson ont eu besoin pour réécrire l’Histoire et faire de leur frère mort un héros propre, pur, généreux et rassembleur.

Parti le Michael Jackson has been quinquagénaire qui n’avait pas sorti de CD depuis huit ans, qui n’avait pas fait de tournée depuis encore plus longtemps et qui rêvait désespérément retrouver, avec son nouveau spectacle, son lustre et sa gloire d’antan. Envolé le Jackson amateur de tente d’oxygène, de chimpanzés, de chirurgie plastique extrême, de dépigmentation débridée, de parcs d’attractions et de shopping compulsif. Oublié le Michael Jackson accusé d’atteinte à la pudeur sur des mineurs et combattant les accusations avec des ententes à l’amiable et un exil prolongé à Dubaï.

Mardi, au Staples Center, ce Michael-là avait disparu à la faveur de son double, Michael le génie musical, le visionnaire, le plus grand amuseur public de tous les temps (the greatest living entertainer), l’icône nationale, la marque globale, la légende américaine.

Depuis Smokey Robinson jusqu’au fils de Martin Luther King en passant par Brooke Shields, Kobe Bryant, Magic Johnson et Berry Gordy, le fondateur de Motown, les superlatifs n’ont cessé de pleuvoir comme les roses sur le cercueil doré du disparu.

Et même si l’occasion commandait que l’éloge funèbre soit élogieux, la volonté de profiter du moment pour réhabiliter l’image et la mémoire du roi de la pop semblait évidente chez tous ceux qui lui ont rendu hommage. Parmi ceux-là, le plus revendicateur fut sans contredit le révérend Al Sharpton qui, d’une voix pleine de reproches, a lancé aux enfants de Jackson : ce n’est pas votre père qui était étrange, c’est tout ce qui se passait autour de lui et qu’on lui faisait subir qui était étrange.

Puis le révérend a fait monter les enchères de l’Histoire d’un cran. Non seulement a-t-il rendu Jackson responsable du rapprochement entre les Noirs, les Blancs et les Latinos du monde entier, mais il a clairement laissé entendre que s’il y avait aujourd’hui un président noir à la Maison-Blanche, c’était grâce à Michael Jackson. Que Barack Obama se le tienne pour dit.

Mais pendant que les éloges gonflaient leurs voiles blanches, pendant que les larmes ruisselaient comme des rivières dans l’aréna baigné d’une lumière bleutée et que chacun y allait de son petit numéro de sanctification, une image s’imposait, plus vraie et plus poignante que les autres : celle des trois orphelins de Jackson, assis à visage découvert à côté de leur grand-mère. Prince Michael I, le plus vieux, mâchait avec ostentation sa gomme pour se donner une contenance. Paris, sa cadette, une magnifique fillette de 11 ans, était sage comme une image sans laisser deviner qu’à la toute fin de la cérémonie, son cri du coeur – «Depuis que je suis née, papa a toujours été le meilleur des pères» – allait arracher des sanglots à l’assemblée et aux millions de spectateurs devant leur télé. Et puis entre les deux, le petit dernier, Prince Michael II, 7 ans, tenait dans ses mains tout ce qui lui restait de son illustre père : une poupée en plastique à son effigie.

Plus que les larmes et les visages éplorés, cette poupée dérisoire disait toute l’ampleur d’un drame qui n’avait rien à voir avec la mort surréaliste d’un saint et tout à voir avec la disparition très réelle d’un père.

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