Le cynisme rassurant de Goldman Sachs
28/07/2009
ANALYSE d’Yves de Kerdrel Deux ans après les débuts de la crise du système financier, le monde entier ne sait toujours pas où il va. Sauf la banque Goldman Sachs, qui affiche les meilleurs résultats de son histoire.
Il y a exactement deux ans, le système financier mondial enregistrait les premiers craquements qui allaient conduire au krach du 15 septembre 2008 et à la crise financière de l’automne dernier. Combien de milliards de dollars sont partis en fumée depuis un an ? 2 000, si l’on s’en tient aux pertes – non avouées – des banques ? 20 000, si l’on prend en compte la perte de valeur des marchés boursiers ? Bien plus encore si l’on calcule l’impact de la récession sur la richesse mondiale et sur tous les actifs. Et peut-être n’a-t-on pas vu le pire encore ? Car si une pandémie mondiale de grippe A vient perturber les timides signaux de sortie de crise, les économies nationales pourraient à nouveau se refermer comme des huîtres pour une longue période de glaciation.
Deux ans donc après ces premières fêlures, le monde entier ne sait toujours pas où il va. Nul ne sait ce que vont devenir les 50 millions de chômeurs que la crise a privés de travail. Quant aux grandes puissances, qui ne sont riches que de leurs dettes, elles préparent un «second plan de relance» qui va creuser un peu plus leur passif, déstabiliser le système monétaire, mais redonner un peu d’air à une économie mondiale assommée et toujours sous le coup de la crise de liquidités qu’elle a connue.
Malgré tout, il y en a qui se portent bien dans cette morne plaine, un peu comme le croque-mort de Lucky Luke qui assiste à une fusillade et se demande s’il aura assez de bois pour faire tous les cercueils. C’est le cas de la Banque Goldman Sachs. «La Firme», pour tous ceux qui travaillent à Wall Street et rêvent un jour ou l’autre d’y être embauchés. Le «banquier des rois et le roi des banquiers» pour les autres qui regardent avec fascination cette institution cent quarantenaire afficher pour les six premiers mois de l’année les meilleurs résultats de son histoire.
Comment est-ce possible ? hurle une opinion publique déchaînée contre les profiteurs de Wall Street. Voilà une banque qui a conçu un univers totalement financiarisé et virtuel ; une banque qui a conduit le monde entier dans le mur. Toutes ses concurrentes ont perdu sinon leur superbe, du moins leur indépendance. Et la voilà qui n’a jamais encaissé autant d’argent, notamment sur les activités de marché où sa devise semble être : «Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais.»
Les griefs ne manquent pas contre Goldman. Les uns l’accusent de collusion systématique avec le pouvoir. Hank Paulson, le secrétaire au Trésor de George Bush pendant la crise, était un ancien patron de la banque. Tim Geithner, son successeur au Trésor, a fait ses premières armes chez Goldman. Quant au gestionnaire du fonds de soutien américain aux banques, il vient de «la Firme». Les autres disent qu’elle a bénéficié d’un traitement de faveur en octobre dernier. Toujours est-il qu’elle a très vite remboursé l’aide fédérale il y a quelques mois de manière à recouvrer sa liberté.
C’est là où l’on en vient au sujet qui fâche. Dès ce premier semestre, Goldman Sachs a gagné tellement d’argent que la banque a mis de côté pas moins de 11,4 milliards de dollars pour payer l’an prochain les bonus de ses salariés. À cela vont s’ajouter les bénéfices du second semestre. C’est-à-dire que les banquiers de Goldman Sachs vont sans doute engranger des salaires records au titre de l’année 2009. Cela en dépit de toutes les admonestations du G20, de tous les cris d’orfraie du président Obama et de toutes les promesses angéliques faites pendant la crise.
Ce comportement amène trois réflexions. Primo : faut-il que les politiques soient aujourd’hui bien faibles face au «pouvoir» économique et surtout bien naïfs pour s’étonner que les règles édictées à Londres le 2 avril dernier sur la rémunération des traders et les bonus des banquiers soient considérées comme lettre morte ? Secundo : faut-il bien mal connaître la nature humaine pour imaginer que les actes de contrition faits pendant la crise sur le thème : «nous avons été trop loin et trop cupides, on ne nous y reprendra plus» puissent encore s’imposer aujourd’hui alors que le Dow Jones fait chaque jour des étincelles. Tertio : on peut même se demander si ce type de comportement n’est pas consubstantiel au capitalisme. Naturellement, cette «cupidité» n’est pas son aspect le plus agréable. C’est même ce qui avait amené l’économiste Joseph Schumpeter à inventer le concept de «destruction créatrice» qui veut que toute période de prospérité soit précédée par une crise profonde durant laquelle tous ceux qui ne savent pas innover meurent au champ d’honneur de la crise, du krach ou du changement d’ère.
Ronald Reagan, qui était un homme plein de bon sens et d’humour, avait eu cette merveilleuse phrase : «Le problème du capitalisme, ce sont certains capitalistes. Mais le problème du socialisme, c’est tout le socialisme.» Goldman Sachs fait assurément partie de ces capitalistes qui «poussent le bouchon un peu loin». Cette cynique absence de scrupule peut aussi être prise pour un signe annonciateur de la remise en ordre de tout ce vieux monde qui s’est écroulé au cours des deux dernières années. Le capitalisme va bien. Merci pour lui. Et tous ceux qui l’avaient enterré un peu vite vont devoir se faire à l’idée que ce Phénix est bien vivant.
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