La prolifération des manifestations anti-impôts et la violence des propos tenus contre la réforme du système de santé publique ont surpris la nouvelle administration. La réforme de la taxation de l’énergie est aussi dans le collimateur des organisations citoyennes
«Vous ne pigez rien!», «Vos patrons, c’est nous!», «C’est ça l’Amérique!». Telles sont quelques-unes des «questions» – plus hurlées que posées – qu’ont affrontées les élus américains qui tentaient cet été d’expliquer la réforme de la santé à leur base dans des salles municipales. Certains ont été pendus en effigie, qualifiés de nazis ou fascistes, d’autres ont reçu des menaces de mort, comme le représentant de Caroline du Nord Brad Miller, qui a supprimé les réunions prévues en août.
Surprise par l’ampleur et la violence verbale des manifestations, l’administration Obama est sur la défensive à propos de l’assurance maladie, un des principaux enjeux de la présidence. Elle pourrait l’être bientôt sur un autre, la réforme de la fiscalité de l’énergie, où des protestations similaires commencent. La fondation Americans for Prosperity a lancé mardi son «Hot Air Tour» national, tandis que des «Energy Citizens» financés par l’industrie pétrolière préparent vingt-deux meetings.
Le phénomène «Tea party»
Barack Obama avait entamé son mandat en pédagogue. Il expliquait ses projets dans une école, un hôpital, passait bien à la TV, savait utiliser Internet. Mais il sous-estimait la culture d’affrontement direct qu’a développée le mouvement «grassroots» américain (traduction libre: retour à la base). Grisé par ses succès, dopé par la crainte de voir le «socialiste» Obama mener l’Amérique à la ruine, celui-ci recrute et se démultiplie. On ne compte plus les organisations, fondations qui affirment défendre les libertés du citoyen et le protéger contre l’emprise de l’Etat.
Dans cette nébuleuse, le Mouvement Patriote est un des plus anciens et plus connus. Son site calcule au dixième de seconde la dette américaine, dont l’accroissement vertigineux, joint au plan de relance de 787 milliards de dollars signé en février, alimente la colère populaire, qui se tourne sans discrimination contre les banquiers et les politiciens.
Le premier semestre a vu exploser le phénomène des «Taxed Enough Already (TEA) Tea Parties», dont le nom fait allusion au coup de main des patriotes américains à Boston en 1773 contre les Anglais. Organisées par l’American Family Association, qui annonce deux millions de supporters en ligne, ces protestations ont d’abord été prises de haut par les médias – sauf Fox News, qui s’en est fait le propagandiste. Elles n’en ont pas moins attiré des dizaines de milliers d’activistes dans tout le pays. «Cessez de mettre l’Amérique en faillite!», disaient les pancartes. «Le gouvernement a perdu tout contrôle, on vole l’avenir des gens», se plaignait par exemple une manifestante d’Atlanta.
Dick Armey, ancien leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, a fondé Freedomworks, opposé aussi bien à la réforme du système de santé qu’à la fiscalité sur l’énergie. Il donne à ses membres des conseils tels que «Sautez sur l’occasion pour crier et contester dès que possible les affirmations de votre représentant». Il bénéficie, entre autres, du soutien du milliardaire Steve Forbes.
Au nom des libertés
Club for Growth, dirigé par l’ex-congressiste d’Indiana Chris Chocola, a lancé une campagne de 1,2 million de dollars contre la réforme de la santé. L’association 60 Plus, incarnée par le chanteur Pat Boone, dépense 1,5 million de dollars dans le même but. Americans for Prosperity se targue de réunir 700 000 membres et milite pour baisser les impôts par des mobilisations directes.
Sans que les frontières idéologiques soient toujours claires, une famille voisine d’organisations défend l’esprit de la Constitution de 1776 «perverti» par les politiciens, et d’une manière générale les libertés individuelles, à commencer par celle de porter des armes à feu. L’élection de Barack Obama, plutôt opposé au libre port des armes, a donné un coup de fouet à ces mouvements. Parmi eux, March for Liberty cite Thomas Jefferson: quand le gouvernement devient «destructeur», il est «de notre droit et de notre devoir d’en créer un nouveau».
Oath Keepers recrute vétérans de l’armée et policiers, leur fait prêter serment en dix commandements, en tête desquels figure «Nous n’obéirons pas à quelque ordre que ce soit consistant à désarmer le peuple américain». Dans la partie extrême de l’éventail se trouvent les organisations qui soutiennent les thèses conspirationnistes, relayées notamment par l’animateur de radio Alex Jones, et celles qui rêvent d’un retour à l’union sacrée d’après les attentats du 11 septembre 2001, tel le Projet 9-12 de Glenn Beck, un autre animateur radio.
Cette nébuleuse libertarienne ne date pas d’hier, ni ses excès rhétoriques qui visent aussi bien la famille Bush qu’Obama. Toutefois, l’effet levier des radios, d’Internet et les relais politiques ont augmenté, relève le Southern Poverty Law Center (SPLC). La tactique – dont le Financial Times relève qu’elle s’inspire de celle utilisée par l’activiste de gauche Saul Alinsky dans les années 60 – a aussi évolué. Le recours aux interruptions et vociférations n’en est qu’un aspect. Il y a aussi le «paper terrorism», sorte de harcèlement de l’administration dont plus de 1200 cas ont été relevés en 2008.Clu
«Frustrés, pas nazis!»
L’intimidation est un autre moyen. Tandis que Barack Obama parlait à des vétérans à Phoenix, Arizona, il y a quelques jours, un groupe d’hommes arborant ostensiblement leur fusil s’est glissé dans un groupe de manifestants et n’a été désarmé, car le port d’armes est libre dans l’Etat. Peu avant à Portsmouth, New Hampshire, un protestataire brandissant la pancarte «Il est temps d’arroser nos libertés» se promenait avec un pistolet attaché à sa jambe. Déficits, système de santé, écologie, armes à feu: l’amalgame est de plus en plus pratiqué sur les sites et dans les manifestations.
«Ces gens avancent, de plus en plus fiers, bruyants, depuis que leurs appels à la désobéissance civile reçoivent l’appui de personnes influentes dans le pays», dénonce Sara Robinson, de Campaign for America’s Future dans un essai intitulé «Les Etats-Unis au bord du fascisme?». Ce genre d’hypothèse fait bondir les activistes: «Nous sommes frustrés, cela ne fait pas de nous des nazis ni des marionnettes des républicains», lance une participante à une des «tea parties» anti-taxes.
En tout cas, le ton monte et met la pédagogie de Barack Obama à rude épreuve pour vendre ses réformes à l’opinion publique.
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