Securing Afghanistan

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Sécuriser l’Afghanistan, par Eric Fottorino

LE MONDE | 03.09.09 | 15h23 • Mis à jour le 03.09.09 | 18h27

L’Afghanistan sera-t- il le Vietnam d’Obama ? Formulée ainsi, la question en appelle une autre : les troupes de l’OTAN doivent-elles au plus vite quitter un pays devenu en deux siècles un piège à empires ? Après les Britanniques et les Soviétiques, l’Amérique connaît les affres d’un conflit sans issue apparente, de plus en plus meurtrier, et désormais critiqué par les opinions publiques internationales à mesure que tombent civils et soldats. Que vont faire les boys – et leurs alliés français, anglais, allemands, turcs – dans ce pays de guerre et de pierres où rien ne pousse que la mort et le pavot ?

Affirmons-le d’emblée : lâcher l’Afghanistan aujourd’hui serait une faute. Comment abdiquer devant les talibans, qui, par leurs discours et leurs actes attentatoires à la dignité humaine, bafouent la moindre liberté ? Si les Afghans sont fatigués des militaires étrangers, le retour de ces insurgés de Dieu leur serait insupportable. Tous les talibans sont pachtounes, l’ethnie majoritaire qui tient le Sud, mais quid des Tadjiks, des Ouzbeks et des Hazaras, lesquels, sur cette terre parmi les plus pauvres de la planète, aspirent d’abord à la paix ?

Il faudrait bien du cynisme pour juger préférables les souffrances infligées aux populations, aux femmes en particulier, par les talibans. Les alliés n’ont pas contribué à éliminer ce régime obscurantiste et brutal en 2001 pour lui laisser le champ libre huit ans plus tard, au risque aussi de permettre à l’état-major d’Al-Qaida de prospérer sans contrainte sur le sol afghan comme il l’avait fait avant le 11-Septembre.

Pour autant, les méthodes américaines ne sauraient rester immuables, alors que le président Obama a renforcé de 21 000 hommes le contingent de GI, pour le porter à quelque 68 000 soldats. Le général Stanley McChrystal en est convaincu, lui qui commande l’ensemble des forces déployées en Afghanistan et préconise un changement de stratégie.

“Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? Si la chance n’est pas avec toi, pourquoi te hâter ?”, dit un proverbe afghan. Mais la sagesse a ses limites. Il est temps de stopper cette guerre aveugle qui tue les civils (2 000 l’an passé) davantage que les ennemis. Stopper cette guerre armée jusqu’aux dents, avec bombardements aériens et colonnes de chars, qui désespère une population par ailleurs spectatrice et victime impuissante des faiblesses de l’économie, de l’administration et de la justice, en un mot de l’Etat, livré aux corruptions et aux fraudes du clan Karzaï.

Combien d’innocents tués les jours de mariage, combien d’écoles détruites, de villages anéantis, d’humiliations et de frayeurs gratuites ? Avec, pour seuls résultats, l’incompréhension et la haine de la part des pauvres gens : des mois durant, ils n’ont pas vu le début d’une aide, d’un chantier de reconstruction, tandis que prospère le trafic du pavot changé en héroïne ou que s’affichent des chefs de guerre hors la loi, absous par le président au nom d’une pseudo- “réconciliation nationale” cachant de minables calculs électoraux.

Rester, donc. Pas pour l’éternité. Deux à trois ans, disent les moins pessimistes. Rester, mais changer de visage. Renvoyer Rambo, mélange de violence et d’ignorance, et lui substituer des connaisseurs du terrain, capables de conquérir “les coeurs et les esprits” – c’est le langage officiel -, soucieux de protéger les habitants plutôt que de “tirer dans le tas”. Passer de la lutte antiterrorisme tous azimuts à une action anti-insurrection mieux ciblée, plus discrète, sinon secrète. Avec une conviction : c’est l’occupation systématique, avec son lot de maladresses et d’horreurs, qui multiplie les talibans, les radicalise, mélangeant les chefs locaux mécontents aux idéologues dangereux et suicidaires. Folie que cette situation où c’est la guerre qui crée des ennemis, et non l’inverse…

Sous l’égide des généraux David Petraeus et Stanley McChrytstal, les Etats-Unis préparent une nouvelle stratégie, plus humble et subtile : aller au contact, faire preuve de respect, épauler les habitants selon leurs besoins dans des domaines aussi variés que l’agronomie et l’agriculture, la mécanique, l’ingénierie ; tenter de gagner les talibans dits modérés, plus justement qualifiés de “réconciliables”, ceux que précisément la force brutale a poussés dans le camp des extrémistes.

Il faut sécuriser l’Afghanistan, pas le terroriser. Rassurer, développer, construire des projets. Quant à l’ennemi : le diviser, le retourner, ne l’éliminer qu’en dernier recours.

Il est trop tôt pour dire si cette orientation l’emportera. Au moins semble-t-elle mieux adaptée à la situation. A condition que les nouveaux soldats ne renforcent pas l’impression des Afghans d’avoir affaire à une armée d’occupation. Comment ressentir autrement des hommes qui ne circulent qu’en véhicules blindés, quand ce n’est pas en hélicoptère. Chacun sait que pour un peuple la victoire commence quand les troupes se retirent.

Mais que d’erreurs commises par les Occidentaux depuis les attentats du 11 septembre 2001, en particulier par George W. Bush quand il déclara une guerre sans merci au terrorisme. Fallait-il orchestrer une assourdissante croisade quand l’adversaire était tapi dans l’ombre ? Fallait-il déclarer la guerre à des pays et à des populations alors que la traque s’imposait avec l’efficacité de la discrétion ? A l’évidence, non.

Fin décembre 2001, avec un fort soutien aérien des Américains, les moudjahidin afghans avaient renversé le régime des talibans. Al-Qaida n’était plus en Afghanistan, mais replié dans ses bases arrières pakistanaises. Or l’OTAN déploya des troupes dans tout le pays, quand le danger avait migré vers d’autres horizons. L’ouverture de Guantanamo et des prisons secrètes américaines (y compris à Kaboul), les actes de torture, l’incarcération d’innocents : tout cela créa en Afghanistan un climat hostile aux puissances étrangères. Et lorsque, à partir de 2003, le président Bush porta son effort en Irak, dégarnissant l’Afghanistan avec l’aval de la communauté internationale, les forces talibanes eurent toute latitude pour se reconstituer, se nourrissant des frustrations et des maux de la population pour recruter.

Paradoxe : c’est sous l’Américain Bush et son allié pakistanais Musharaf (ambigu dans la lutte) que les talibans ont repris vigueur. D’où la nécessité, aujourd’hui encore, d’une présence étrangère pour palier la faiblesse des militaires et des policiers afghans. Les Américains, comme leurs alliés européens, tablent désormais sur une “afghanisation” du conflit. Le processus sera lent et difficile. Tous espèrent qu’ils pourront ensuite, enfin, lever le camp, après avoir formé des forces nationales. Qu’ils auront contribué à l’émergence d’un semblant d’Etat de droit susceptible de restaurer l’ordre et la sécurité, province après province, route après route. Que la vie quotidienne sera tout simplement vivable.

Il est probable que le président Karzaï (l’homme des Occidentaux, au moins au début) sera réélu. Mais il a tant déçu qu’il devra accepter un autre mode d’exercice du pouvoir facilitant la restauration de la justice, le développement et la reconnaissance des avancées démocratiques voulues par les Afghans.

Les états-majors le savent : plus le mécontentement populaire se réduira, plus les modérés renonceront à la lutte armée, et plus la recherche d’un dialogue, forcément dangereux, avec les talibans radicaux sera inutile. Est-ce possible ? C’est surtout indispensable pour un pays et un peuple qui se meurent d’une guerre de trente ans.

Eric Fottorino

Article paru dans l’édition du 04.09.09

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