America is Out of Ideas

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Alors que l’Amérique subit la crise de façon particulièrement brutale (chômage de masse, décroissance, chute du marché immobilier, etc.), elle se pose aujourd’hui, avec inquiétude, la question de sa compétitivité en matière d’innovation technologique. Pourquoi celle-ci, qui fut le moteur de sa croissance exceptionnellement longue et régulière depuis trois décennies, ne lui a-t-elle pas permis, si ce n’est de passer à travers les gouttes, du moins de s’en sortir mieux que les grands pays concurrents ?

De plus en plus d’experts s’alarment publiquement sur ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme étant un déficit patent de l’Amérique dans sa capacité à innover. Qui serait d’autant plus grave qu’elle serait la dernière étape avant un déclin économique profond et durable.

Les pessimistes ne manquent pas d’arguments. En février dernier, un rapport publié par l’Information Technology and Innovation Foundation, un « think tank » influent de Washington, estimait que, selon 16 critères mesurant la compétitivité, les Etats-Unis ne pointaient plus qu’en sixième position. Loin derrière plusieurs pays d’Europe du Nord (la Suède notamment) mais surtout d’Asie, en particulier Singapour, qui recueille ainsi les fruits d’un engagement massif – et ancien – de son gouvernement en faveur de l’innovation technologique.

Plus récemment, un spécialiste de l’analyse de la croissance économique américaine, Adrian Slywotzky, expliquait, dans « Business Week », que le dynamisme économique américain était « déjà cassé » par la faute d’un déclin de l’investissement dans la recherche scientifique. Selon lui, cette crise de l’innovation aurait même commencé dès la fin des années 1990… Pour s’en convaincre, il souligne la désertification des grands laboratoires de recherche publics – ou ceux financés par l’Etat fédéral, des salaires de chercheurs si peu attrayants qu’ils découragent les meilleurs étudiants, et surtout une absence de volonté politique pour soutenir la recherche fondamentale.

De fait, si beaucoup de spécialistes reconnaissent que le modèle américain de financement privé de l’innovation reste l’un des meilleurs du monde, c’est pour mieux souligner que la recherche non appliquée est bel et bien en déclin. A l’instar des laboratoires Bell, qui ont produit six prix Nobel au siècle dernier et grandement contribué à créer l’industrie américaine des télécommunications, mais qui ont vu leur effectif divisé par 10 depuis leur âge d’or. Idem pour le fameux Palo Alto Research Center (PARC), dans la Silicon Valley, qui a permis d’inventer le concept de la souris ou l’imprimante à laser pratiquement par hasard. Le meilleur exemple étant peut-être le laboratoire militaire de la Darpa, créé pour concurrencer, dans les années 1950, les Soviétiques dans la course à l’espace et qui est à l’origine du concept de l’Internet. Sans une recherche fondamentale de qualité, poursuivent les inquiets, jamais la télévision, le transistor, voire la cellule photovoltaïque solaire n’auraient vu le jour en Amérique.

Un pessimisme total est-il justifié ? Certes, bien des promesses faites par les scientifiques américains ces vingt dernières années n’ont pas encore été tenues, notamment dans le secteur des biotechnologies où l’on attend encore les médicaments miracles contre le cancer ou la maladie d’Alzheimer. Pour autant, il y a tout lieu de penser que la nouvelle administration est consciente de la nécessité de relancer la recherche fondamentale publique pour redonner de la compétitivité à l’Amérique. A peine arrivé au pouvoir, Barack Obama a financé une nouvelle agence, ARPA-E (E pour Energie), qui a pour mission de faire pour les technologies vertes ce que la Darpa a fait pour les technologies de l’information. Militaires ou pas.

Les IBM, Cisco, General Electric, Google ou DuPont appellent eux-mêmes de leurs voeux une recherche fondamentale spécifique du développement durable, à partir de laquelle ils pourraient développer des applications commerciales.

Mais, même si une telle vision prend corps, un autre danger guette l’Amérique : contrairement au siècle dernier, l’Amérique n’est plus le centre d’attraction unique des meilleurs cerveaux du globe. Une enquête récente de la Kauffman Foundation indique que 50.000 immigrants asiatiques ont quitté les Etats-Unis ces deux dernières années. Un mouvement qui ne fait que commencer. Le pire est que 90 % de ces retours au pays sont le fait de diplômés du troisième cycle, attirés par les opportunités nouvelles créées chez eux.

Bien formés à l’université américaine, rompus à la création d’entreprises innovantes, quelques-uns de ces brillants sujets pourraient bien faire éclore le prochain Google des « clean tech » du côté de Shanghai, Singapour ou Bombay.

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