Depuis trente ans, le Proche-Orient ne cesse de causer des insomnies aux présidents américains. En 1979, Jimmy Carter parvenait à arracher à l’Égypte et à Israël un accord de paix, il est vrai demeuré pratiquement sans conséquence aucune sur les rapports entre les deux pays, si l’on excepte la longue mise en quarantaine du régime d’Anouar Sadate qui avait abouti à l’installation à Tunis du siège de la Ligue arabe. Mardi, Barack Obama a connu à son tour l’humiliation de l’échec, ne parvenant pas à arracher la moindre concession aux derniers en date des protagonistes de la mère de toutes les crises. Ce sera donc, pour Benjamin Netanyahu, non au gel des implantations, et, pour Mahmoud Abbas, non à une reprise des pourparlers. Voilà qui est clair, dira-t-on. Pour autant, s’attendait-on à une quelconque éclaircie dans un ciel uniformément sombre, dans lequel Tel-Aviv s’acharne à multiplier les nuages ?
On n’a pas oublié les temps pas si lointains où Ehud Barak, alors en délicatesse avec la justice, s’engageait à restituer aux Palestiniens 93,5 pour cent de la Cisjordanie et même une partie de Jérusalem. Aujourd’hui, son successeur tient un langage pour le moins étrange puisqu’il promet de « ne pas ignorer » les positions de son prédécesseur tout en affirmant ne pas être tenu de les faire siennes. Kabbalistes, au secours ! Il reproche à ses interlocuteurs de poser comme préalable – pour la première fois en quinze ans, dit-il – la question des implantations alors qu’« il est impossible d’arrêter le cours de la vie » et qu’après tout, « les colons sont là pour rester ». Tout cela, conclut-il péremptoire, représente une perte de temps. D’où le satisfecit décerné à son chef par l’inénarrable Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères et faucon notoire, « content du fait même que cette rencontre ait eu lieu et qu’un dialogue reprenne sans conditions », et qui précise : « L’important est que ce gouvernement respecte ses engagements auprès de ses électeurs et ne cède pas aux pressions. » La suite est toute tracée, à en croire le chef de la diplomatie israélienne : un accord de paix dans les années à venir étant peu probable, au mieux pourrait-on parvenir à un modus vivendi. Et puis, n’est-ce pas que « des dizaines de conflits perdurent dans le monde sans accord pour les régler » ?
Tel n’est pas l’avis de Washington qui suit avec inquiétude l’évolution de la situation et réclame avec insistance un arrêt des constructions sauvages où près d’un demi-million d’Israéliens sont déjà installés. Mardi, Obama n’a pas caché son impatience. « On ne peut continuer indéfiniment à parler d’engager un dialogue, a-t-il lancé à ses deux hôtes. Le temps est venu d’aller de l’avant, en dépit de tous les obstacles, de tout ce que représente le passé. » Hillary Rodham Clinton s’égosille à dire la même chose depuis quatre mois et avec elle d’autres membres de l’administration démocrate, même si George Mitchell s’emploie, sans doute pour s’assurer quelque chance de succès dans sa mission (impossible), à arrondir les angles, n’hésitant pas à recourir à un langage propre à rendre jaloux Alan Greenspan lui-même qui disait, avec son incomparable sens de l’humour : « Si quelqu’un pense avoir compris ce que j’ai dit, c’est que sans doute je me suis mal exprimé. » C’est ainsi qu’à l’issue de la rencontre tripartite de New York, l’émissaire US dans la région s’est adressé en ces termes aux journalistes : « Nous n’avons jamais estimé les étapes de ce dossier comme étant une fin. »
Plus subtils dans leur approche du problème, les stratèges de la Maison-Blanche sont sur le point de passer à la phase 2 de leur offensive. Leur discours à l’adresse du cabinet israélien pourrait se résumer désormais comme suit : puisque vous ne voulez pas en parler, laissons donc de côté le délicat problème des colonies de peuplement et passons à l’étape suivante, qui porte sur le statut final des territoires. Or la simple évocation de cet aspect de la question est propre à donner des urticaires à Netanyahu, coincé à sa droite par les ultras d’Israël Beiteinou et du Shass, convaincus, eux, que le temps joue en faveur de l’État hébreu.
Le grand dilemme pour l’Amérique a traditionnellement été de vouloir foncer avec l’espoir de réaliser une percée – laquelle ne s’est jamais concrétisée -, ou de ne rien faire et de voir les choses empirer. Écoutez plutôt le sage George Mitchell, héros jadis du marathon irlandais : « Nous savions au départ que ce ne serait pas facile. » Voilà ce que l’on appelle, en langage diplomatique, un délicat euphémisme.
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