The America That Scares

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Cette Amérique qui fait peur

Jean-Paul Marthoz Journaliste et essayiste

mardi 06 octobre 2009, 08:47

Un groupe sur Facebook qui demande s’il faut assassiner Obama. Des manifestants qui assistent, l’arme en bandoulière, à des meetings présidentiels. Des sites internet qui beuglent contre « Obama, Hitler ». Des agitateurs médiatiques, comme Lou Dobbs sur CNN, qui « doutent » de la nationalité américaine du chef de l’Etat.

La violence des attaques lancées par l’extrême droite contre Barack Obama a pris une dimension hallucinante. Ces visages agressifs, ces poings menaçants, ces pancartes brandies comme des pics rappellent les sermons incendiaires du prêtre nationalcatholique et antisémite Charles Coughlin contre le président Roosevelt à la fin des années 30, la chasse haineuse aux militants antiracistes lors des « chevauchées de la liberté » dans le Sud profond des années 50, les attaques hystériques contre John et Robert Kennedy, lorsque ceux-ci appuyaient, aux côtés de Martin Luther King, les droits civiques des Noirs.

A l’image de Léon Degrelle qui prétendait représenter le « pays réel » ou de l’Action française hurlant contre le « juif Léon Blum », l’extrême droite américaine se présente comme la « vraie Nation » et disqualifie ses adversaires comme des envahisseurs et des infiltrés. Se déclarant « pure laine », blanche et chrétienne, elle se drape dans la bannière nationale et excommunie les différents et les déviants. Et elle est d’autant plus déchaînée que ces « différents et ces déviants » ont été élus démocratiquement à la tête de l’Etat.

Certes, les Etats-Unis ont une culture politique qui permet, au nom du Premier amendement de la Constitution, les outrances verbales et les appels à la haine. Mais l’ampleur des attaques dont Barack Obama est la cible ne relève plus du charivari démocratique, mais bien de l’appel au meurtre. Elle correspond d’ailleurs à d’autres phénomènes tout aussi inquiétants dénoncés par des associations comme le Southern Poverty Law Center et par le FBI (Bureau fédéral d’investigation) : l’accroissement des attaques à motivation raciste, particulièrement contre les Hispaniques, la mobilisation sans précédent – une hausse de 50 % depuis 2000 – des organisations suprémacistes blanches, la réapparition des milices d’extrême droite, la rupture de stock des marchands d’armes et de munitions, une hausse de 400 % des menaces de mort contre Obama par rapport à celles qui avaient visé George Bush.

L’euphorie qui a gagné l’opinion internationale après la victoire démocrate en novembre dernier nous avait presque fait oublier que cette partie de l’Amérique qui s’était durement opposée à Obama n’avait pas désarmé, qu’elle était toujours là, rageuse, hargneuse, fielleuse, incapable d’accepter sa défaite.

Cette Amérique de la rancœur est minoritaire, mais elle est loin d’être marginale car elle est ancrée au sein d’un Parti républicain mis sous pression par ses propres ultras. De surcroît, certaines de ses thèses les plus déjantées bénéficient d’un relais médiatique tonitruant, non seulement dans les coupe-gorge d’internet, mais aussi sur des grandes chaînes de télévision qui se prétendent respectables, comme Fox News.

Butée, inquiétante, cette Amérique continue à trouver illégitime la présence d’un Noir à la Maison-Blanche et elle est sur le sentier de la guerre, derrière les oriflammes de la bigoterie et les trompettes du déshonneur. Sus à l’antéchrist ! Comme Bill Clinton l’a déclaré sans détours, Obama fait face à une véritable « conspiration d’extrême droite ». Une conspiration « inspirée par le racisme », a renchéri l’ex-président Jimmy Carter.

Nostalgique du Sud profond et de sa société d’apartheid, cette « tribu blanche » est d’autant plus brutale qu’elle se sent inexorablement menacée par l’évolution à l’intérieur et à l’extérieur des Etats-Unis.

Ses peurs ataviques sont attisées par un terrible sentiment d’impuissance face à la montée des « gens de couleur ». Selon de nombreuses projections démographiques, les Américains d’origine européenne seront une minorité parmi d’autres à partir de l’année 2050. Cette peur, exacerbée par la crise économique, est aggravée par le sentiment que le Siècle américain se referme et que les Etats-Unis vont devoir partager la direction du monde, au profit de la Chine, de l’Inde ou encore, comme la victoire de Rio sur Chicago l’a illustré, du Brésil.

Dans cette atmosphère de névrose obsidionale, chaque geste de Barack Obama en faveur d’un multilatéralisme raisonné est dès lors décodé comme une trahison. Dénoncé comme « agent de l’étranger » par les esprits les plus exaltés, le président est accusé de pactiser avec les ennemis de l’Amérique, voire de comploter avec l’ONU pour instaurer un « gouvernement mondial ».

Alors que les analystes les plus renommés voient dans la diplomatie « multilatéralisante » d’Obama la seule manière de garantir un maximum de leadership américain et considèrent la diversité de la population comme un atout dans un monde de plus en plus multipolaire, les idéologues d’extrême droite et leur piétaille s’accrochent à l’illusion d’une Amérique omnipotente et ils ne peuvent concevoir celle-ci que blanche et paléochrétienne.

Les ultras américains ont toujours eu le chauvinisme à la boutonnière… pour mieux cacher leurs propres trahisons. Des fantômes surgissent : l’aviateur Charles Lindbergh, leader du mouvement America First, cherchant à empêcher les Etats-Unis d’entrer en guerre contre Hitler ; Joseph McCarthy, défendant avec virulence les SS responsables du massacre de 80 soldats américains à Baugnez en 1944, lors de la bataille des Ardennes, avant de devenir le grand inquisiteur de la « chasse aux sorcières ».

Vus dans ce contexte, les brailleurs populistes, les perturbateurs des meetings d’Obama et les nostalgiques de ce « temps béni où les Nègres se tenaient à leur place » sont ceux qui contribuent non seulement à salir l’image des Etats-Unis dans le monde, mais aussi à compromettre la capacité de leur pays à relever les défis d’un monde en profonde et inéluctable mutation.

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