Le faux départ de Barack Obama au Proche-Orient, par Laurent Zecchini
LE MONDE | 20.10.09 | 13h25 • Mis à jour le 20.10.09 | 13h25
Il semble que des lustres se soient écoulés depuis que Barack Obama a prononcé au Caire son discours de la main tendue au monde musulman. Le président américain avait décrit avec justesse la “douleur de la dislocation” des Palestiniens. Moins de cinq mois après, ses efforts pour relancer le processus de paix israélo-palestinien n’ont abouti à aucune percée. Cette absence de résultat n’aurait rien d’exceptionnel à l’aune de tant d'”accords” et de vains “processus” de paix, si un triple revers n’avait été infligé au mouvement palestinien.
Mal conseillé ou trop confiant dans son charisme personnel, M. Obama s’est attaqué à la reprise des négociations en exigeant des Israéliens qu’ils acceptent au préalable un gel total de la colonisation juive en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Enhardi par un tel parrainage, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, en a fait une condition sine qua non d’une reprise des pourparlers avec le gouvernement israélien.
Cette stratégie méconnaissait une double réalité : même si nombre d’Israéliens ne sont pas favorables à la colonisation sauvage des territoires palestiniens, la légitimité de la colonisation, fondement historique de l’Etat d’Israël, imprègne fortement les mentalités. Le gouvernement jusqu’au-boutiste du premier ministre israélien est partisan de la poursuite des implantations. Benyamin Nétanyahou ne refera pas l’erreur de s’aliéner le soutien des partis qui constituent sa majorité, qui lui a coûté le pouvoir en 1999.
Il a donc tenu bon, et Washington, comprenant que l’objectif d’un gel total de la colonisation était inatteignable, s’est rabattu sur l’idée qu’il fallait “contenir” celle-ci. Pour M. Abbas, ce revirement équivalait à un camouflet. Ce ne fut pas le seul. Soumis à une forte pression américaine, le chef de l’Autorité palestinienne a dû accepter de se rendre à New York pour y serrer la main de M. Nétanyahou. Cette photo tant désirée par M. Obama ne scellait aucun rapprochement des positions.
Il y eut une troisième humiliation avec le rapport du juge Richard Goldstone, qui stigmatise les “crimes de guerre” commis, notamment par Israël, lors de la guerre de Gaza. Début octobre, les Américains ont obtenu de M. Abbas qu’il retire son soutien à ce rapport, ce qui lui a valu d’être qualifié de “traître” par le Hamas. Comprenant qu’il jouait son avenir politique, M. Abbas a obtenu un vote du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui a entériné le rapport Goldstone.
Tout cela a laissé des traces : un mémorandum du Fatah, le parti qui contrôle l’Autorité palestinienne, montre que les espoirs des Palestiniens dans l’administration Obama “se sont évaporés”. En Israël, la popularité de “Bibi” Nétanyahou n’a jamais été aussi forte, alors que celle de M. Abbas, en Palestine, s’est réduite à 12 % d’opinions favorables. Tant sur le gel de la colonisation que sur le rapport Goldstone, M. Nétanyahou s’est livré à un habile chantage : insister sur ces questions, a-t-il souligné, c’est prendre le risque de tuer dans l’oeuf la relance du processus de paix.
Pendant toute cette période, les bulldozers de la colonisation n’ont pas cessé leur travail, en Cisjordanie comme à Jérusalem-Est. L’erreur de la nouvelle administration américaine a été de considérer le soutien de Jérusalem comme allant de soi. Après le “sommet” de New York, certains proches de M. Nétanyahou se sont même vantés d’avoir fait plier l’administration Obama. C’était plus qu’une imprudence, une faute : le rapport de force ne peut pas être en faveur d’Israël, parce qu’il n’y a pas d’Amérique de rechange.
Outre que l’aide américaine à l’Etat hébreu dépasse 3 milliards de dollars par an, Washington dispose, en théorie, de moyens de pression sur Israël, notamment sur le plan stratégique. En pratique, la force du lobby pro-israélien aux Etats-Unis n’est plus à démontrer, et l’adoption de sanctions par le Congrès – peut-être le seul moyen d’obtenir des concessions israéliennes – est très aléatoire. Ce qui laisse le processus de paix dans l’état où M. Obama l’a trouvé le 20 janvier 2009.
Les Américains savent qu’ils ne peuvent vouloir la paix plus que les deux protagonistes. Or dans l’immédiat, ni les Palestiniens ni les Israéliens ne semblent avoir de véritable intérêt à négocier. Affaibli, M. Abbas ne peut prêter davantage le flanc aux accusations de “collaboration avec l’ennemi sioniste” du Hamas, surtout dans la perspective des élections législatives et présidentielle palestiniennes. A Washington et à Tel-Aviv, on réfléchit aux moyens de “sauver le soldat Abbas”…
L’intention est paradoxale de la part d’un gouvernement israélien qui semble prendre un malin plaisir à humilier celui qui demeure son unique partenaire pour la paix. Tout se passe comme si les Israéliens se satisfaisaient du statu quo : la situation économique en Cisjordanie s’améliore lentement, et cette “economic peace” évite toute concession politique. La guerre de Gaza fut certes un échec, mais Israël table sur l’interdépendance croissante des économies gazaouie et égyptienne pour nourrir son rêve de voir l’Egypte absorber le “Hamastan”. Et on espère à Jérusalem que l'”ami américain” aidera à faire tomber le rapport Goldstone dans le puits sans fond des blâmes onusiens.
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