30/10/2009 19:14
Un an après, les anti-Obama relèvent la tête
Un an après l’élection du président noir, ses adversaires multiplient les slogans extrémistes. Qui sont ces opposants que l’on entend beaucoup depuis quelques semaines et qui inquiètent ?
«Barack Obama… c’est un traître. » Mike Brady sourit, embarrassé : s’il aime la provocation, il mesure malgré tout la portée de ses mots. Pourtant, son propos résume le fond de sa pensée. « Il est en train de détruire notre pays, de balayer notre Constitution pour faire des États-Unis un pays socialiste, affirme-t-il. Il a déjà nationalisé l’industrie automobile, maintenant il veut que le gouvernement s’occupe de notre santé… Ce n’est pas notre pays, ça. Nous sommes une nation capitaliste, pas socialiste. Ce qu’il fait, ce n’est pas américain. »
Mike et sa femme Maria sont en colère. Depuis un an. Ce couple de quinquas tranquilles, propriétaires d’une entreprise d’impression à Boiling Springs, petite ville de Caroline du Sud, n’a pas digéré l’élection de Barack Obama. Une colère qu’ils expriment avec l’énergie des convertis. Dans les années 1970, Mike s’était laissé porter par l’air du temps, et les paradis artificiels, jusqu’en Californie. Aujourd’hui, l’homme aux cheveux blancs et à la moustache poivre et sel n’entame plus un repas sans une prière.
Maria, elle, c’est à la politique qu’elle s’est convertie. Jusqu’à la victoire de Barack Obama, ce qui se passait à Washington la laissait indifférente. « Quand il a été élu, j’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond », lâche-t-elle sans avoir une idée précise de la nature du problème.
Depuis, Maria rattrape le temps perdu, passe ses journées devant Fox News ou son ordinateur à dévorer les infos publiées par la droite radicale. La moindre rumeur sur Internet devient, en atterrissant dans sa boîte aux lettres virtuelle, une confirmation du traquenard qui menace le pays. Une preuve que Maria s’empresse de faire suivre aux 4 500 noms que compte sa liste de contacts.
Le « mouvement patriote », incarnation de la droite populiste
Car Mike et Maria n’entendent pas rester les bras croisés. Depuis ce printemps, ils ont rejoint le « mouvement patriote », incarnation de la droite populiste américaine la plus dure. Cette famille compte plusieurs branches, depuis la droite religieuse jusqu’aux économistes ultra-libéraux, en passant par les poujadistes opposés aux « élites ». La spécialité de Mike et Maria ? L’organisation de « tea party ». Au programme, pas plus de gâteaux secs que d’Anglaises qui lèvent le petit doigt dans un salon, mais des slogans agressifs et des Américains qui lèvent le poing dans la rue.
Sur les pancartes colorées, trois lettres rouges de colère : TEA, pour « Taxed Enough Already » (« déjà suffisamment taxés »). Mais l’expression n’est pas qu’un sigle. Elle renvoie à un épisode fondateur de la révolution américaine, la « tea party » de Boston, en 1773, quand des Américains en devenir, refusant un nouvel impôt levé par la Couronne britannique sur le thé, avaient jeté à la mer la cargaison de trois navires en provenance de Londres.
Le 15 avril dernier, rejoignant une initiative nationale, Mike et Maria ont mis sur pied leur propre « tea party » à Boiling Springs. À leur grande surprise, deux cents personnes les ont rejoints. Gonflé à bloc, le couple a poursuivi ses efforts, participant à une marche sur Washington, le 12 septembre. Depuis, ils ont organisé le départ de neuf bus pour la capitale fédérale. À chaque occasion, Mike l’ancien artiste se déguise en Américain de l’époque coloniale, façon de souligner que le patriotisme est de son côté… À ses côtés, d’autres hommes en colère portent des tee-shirts plus inquiétants, où Obama apparaît sous les traits d’un Hitler.
Dans ce magma contestataire, le racisme est présent
Neuf mois à peine après l’investiture de Barack Obama, beaucoup d’observateurs ont tendance à ne voir qu’un phénomène marginal, réunissant quelques hurluberlus en colère, mais peu nombreux et inoffensifs. Pas Chip Berlet, journaliste et activiste de gauche qui surveille depuis une trentaine d’années les activités et les différents visages de la droite radicale américaine. « Il s’agit d’un vrai mouvement de masse, estime-t-il dans son bureau de Boston.
Un mouvement difficile à mesurer : pas de QG, pas de listes de membres… C’est très diffus, et même leurs rassemblements donnent lieu à l’éternelle guerre des chiffres. Mais d’après ce que j’entends dans le pays, il s’agit d’un vrai phénomène qui gagne du terrain. » D’après les médias, la manifestation de Washington aurait réuni quelques dizaines de milliers de personnes. « Plus d’un million », répondent les organisateurs.
Dans ce magma contestataire, le racisme est présent. Mais dans quelle mesure ? Sans doute pas autant qu’on pense, vu d’Europe. Car le véritable ennemi commun de ces différentes mouvances est l’État, accusé de tous les maux par une partie de l’Amérique frustrée par la crise et les milliards accordés à Wall Street.
Ce phénomène n’est pas nouveau : le populisme a toujours été une force politique aux États-Unis. Mais les nouvelles technologies offrent aujourd’hui une vitrine formidable aux théories les plus paranoïaques… Sans parler de Fox News, qui a récemment consacré quatre heures d’antenne à des « camps d’internement » que le gouvernement américain aurait commencé à construire. Avant de conclure qu’il s’agissait d’une rumeur infondée.
Remettre en cause la légitimité du président américain
« Cette histoire est intéressante, explique Chip Berlet, car cette théorie ne date pas d’Obama : elle était déjà là dans les années 1990, propagée dans l’univers des milices, ces organismes armés antigouvernementaux présents dans certaines régions du pays et en forte expansion au début des années Clinton. Du recyclage, mais propagé au-delà de ces cercles restreints. »
Jusque chez Mike et Maria, par exemple, qui y croient et y voient une confirmation supplémentaire que Barack Obama est un « fasciste » – ou un « socialiste », c’est selon. D’ailleurs, est-il vraiment américain ? « On ne sait pas… Personne n’a vu son certificat de naissance », lâche Maria, reprenant un discours de la droite radicale qui estime que le président est en fait né en Afrique, et qu’il n’est pas un citoyen américain. Donc pas légitime.
Car ces propos ne visent pas tant à attaquer la politique de Barack Obama qu’à remettre en cause sa légitimité même. Les images de Barack Obama en Hitler ou en Staline, aussi absurdes soient-elles, créent un climat malsain. À Greenville, cœur de la région la plus conservatrice de Caroline du Sud, Frère Jay Scott Newman, de l’Église Sainte-Marie, relativise : « Des radicaux un peu toqués, nous en avons. Mais il en existe aussi en Europe. Il ne faut pas faire trop attention. Je vous rappelle que les deux derniers présidents qui ont été visés par la violence étaient des républicains – Ronald Reagan et Gerald Ford. »
Chip Berlet est plus inquiet. Non pas qu’il redoute un attentat contre le président, très bien protégé, mais plutôt un acte de violence contre un symbole de l’État, comme celui qui avait visé, en avril 1995, un bâtiment du FBI à Oklahoma City, faisant 168 morts. « Je ne dis pas que ça va arriver, explique-t-il. Je dis seulement que le climat actuel et la colère d’une minorité d’Américains actifs rappellent la situation après l’arrivée de Bill Clinton à la Maison-Blanche. »
Gilles BIASSETTE (à Greenville et Boston)
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