Enfermée dans ses immenses bases, l’armée américaine ne peut gagner la guerre en continuant à la mener à distance. Sa culture, fondée sur la puissance du feu, s’oppose à celle des soldats afghans, féodale et mystique. C’est le constat dressé par Michel Goya, directeur d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.
De retour de Kaboul, Michel Goya, directeur d’études sur les nouveaux conflits, livre ses “impressions” dans la première livraison de la lettre de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), nouvellement créé. Elles sont riches d’enseignements sur le fossé culturel entre l’US Army et l’Armée nationale afghane (ANA). Et, de fait, sur le sort de la guerre.
Ecrans plats et produits made in USA
Cet officier, historien de formation, était invité par l’opération Epidote (qui forme les officiers afghans), afin de prononcer des conférences au profit des équivalents afghans du Collège interarmées de défense (CID) et du Centre des hautes études militaires (CHEM). Il décrit la façon dont beaucoup d’Américains vivent la guerre, à l’abri dans leurs bases, véritables “oasis de prospérité”, avec écrans plats et produits made in USA surabondants. Les Afghans y sont absents, “sauf pour [les] nettoyer”, écrit-il.
Pis: leur manière d’opérer à distance s’oppose à la culture guerrière afghane, féodale et mystique. Des méthodes guère différentes de celles employées lors de la guerre du Vietnam. Les Américains compensent la “médiocrité tactique” de leur infanterie par une puissance de feu écrasante, notamment aérienne. Résultat: celle-ci “transforme en héros ceux qui s’opposent à elle, en martyr ceux qui en sont les victimes et en vengeurs les proches de ces martyrs.” C’est précisément cette “spirale vietnamienne” que le général Stanley McChrystal, le commandant en chef des forces de l’Otan en Afghanistan, veut enrayer, car elle est “incontestablement perdante à terme”, souligne Goya. Un combat que le général américain doit mener contre la culture de sa propre armée.
L’historien s’intéresse – c’est inédit – à ce que pensent les officiers afghans. Leur vision n’est guère encourageante. Tant qu’elle sera au service d’une politique corrompue, leur action militaire ne peut que l’être elle-même, estiment-ils. Quant aux contingents occidentaux, ils les voient comme des “corps étrangers” qui se barricadent dans leurs bases et se relaient sans cesse. Bref, la greffe ne prend pas.
Les généraux afghans sont notamment “sidérés” par le décalage entre les dépenses de l’Otan et la faiblesse du traitement des militaires. Exemple: une mission moyenne, sans tir, d’un chasseur-bombardier équivaut presque à la solde d’un bataillon afghan… Selon Goya, il suffirait probablement de doubler cette somme pour diminuer l’important taux de désertion dans les rangs de l’armée afghane (12% chez les sous-officiers et 34% chez les militaires du rang) et d’attirer les mercenaires du bon côté. Ce qui couterait 200 à 300 millions de dollars par an, alors que les Américains en dépensent près d’un milliard par semaine ! “Mais il est vrai, écrit-il, que personne ne demande vraiment leur avis aux officiers afghans.”
Les Afghans, en revanche, ont une bonne image des Français. Sur le terrain, la situation est contrastée. Le district de Surobi, où dix soldats français sont morts en août dernier, semble en voie de “pacification”. La province de la Kapisa, au nord-est de Kaboul, reste difficile, car c’est une zone stratégique pour les insurgés venant du Pakistan. “Conscient de l’impossibilité de contrôler toute sa zone avec ses moyens limités, le 3e Régiment d’infanterie de marine (RIMa) se contente d’une action indirecte et patiente, concentrée sur la construction des routes et le repoussement des rebelles qui veulent s’y opposer”, note Goya. Les soldats ont le sentiment qu’en France leur action est perçue comme “une opération à bas bruit et à bas coût”, une “sorte de guerre d’Indochine en modèle réduit”.
Pas de fatalisme, néanmoins. “Il faut être conscient que cette guerre sera longue et difficile, mais qu’elle est gagnable ne serait-ce que parce que les taliban sont largement détestés”, souligne Goya. Il relève que la solution ne viendra pas d’une augmentation des effectifs, mais plutôt d’une meilleure adaptation de la coalition au milieu afghan. Il avance trois propositions, émanant des officiers français et afghans: intégrer dans les bataillons français des soldats locaux sous contrat, à la manière des unités “jaunies” d’Indochine ; créer un petit corps permanent d'”officiers des affaires aghanes”, dont la connaissance de la langue faciliterait l’action des unités ; former des jeunes afghans, qui effectueraient une sorte de “service militaire adapté” au sein des bases françaises.
Les propositions remontant du terrain ne manquent pas. Reste à savoir si elles sont réalisables, avec des moyens comptés.
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