Depuis neuf mois, l’administration Obama souffre de plusieurs problèmes qui l’ont empêchée de mettre en œuvre une politique extérieure et de défense cohérente. Rien n’indique que cette situation doive changer dans un futur proche.
Le premier problème est que, contrairement aux Présidents Nixon ou George W. Bush, Barack Obama n’a pas auprès de lui un stratège tel que Henry Kissinger ou Brent Scowcroft, c’est-à-dire un homme capable de penser à long terme et de réfléchir sur le rôle mondial que les Etats-Unis voudraient avoir dans dix ou vingt ans, et la stratégie d’ensemble pour y parvenir. Le général Jones, son conseiller national de sécurité, est un gestionnaire de crise qui pare à l’urgence quand elle se présente mais auquel le Président ne demande aucun input conceptuel. Il n’appartient par ailleurs pas au premier cercle des conseillers du président, qui, composé essentiellement de David Axelrod et Rahm Emanuel, n’est intéressé que par la politique intérieure. Le Conseil national de sécurité (NSC), le plus nombreux en effectif depuis la création de cette institution, ne fait que l’assister dans cette tâche, créant au passage des frictions multiples avec le Département d’Etat, le Pentagone et les divers «tsars» nommés pour s’occuper de problèmes spécifiques (processus de paix israélo-palestinien, zone Afghanistan-Pakistan, etc.).
En deuxième lieu, l’administration Obama se caractérise par la multiplicité de personnalités souvent fortes et titulaires de dossiers empiétant les uns sur les autres : ainsi de la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, qui s’est vu imposer des «tsars» avec lesquels les relations sont difficiles : Richard Holbrooke (qui voulait son poste) et George Mitchell, entre autres. Obama donne l’impression de considérer qu’il est à même de faire seul la synthèse entre les personnalités qui le servent et les avis qu’elles lui donnent. Il devient de facto le responsable de l’action diplomatique et militaire sur tous les sujets. Comme son temps est compté et que les questions de politique intérieure (économique et sociale) l’absorbent en grande part, il ne prend pas de décision sur les sujets de politique étrangère et de défense, hormis par des discours d’une grande généralité, et personne n’en prend à sa place.
Enfin, Obama a, comme tous les hommes politiques américains, et en dépit de ses origines, une expérience internationale très limitée. Il a donc tendance à projeter sur ses interlocuteurs étrangers – c’est particulièrement visible dans le cas de l’Iran – une rationalité semblable à celle des Américains. Il en résulte que les gouvernements étrangers lui sont opaques. Cette dernière caractéristique, mêlée à celle de vouloir traiter directement les sujets de politique étrangère et de défense, fait que la politique américaine dans ces domaines est dans un état d’indécision et d’inefficacité chronique.
Les relations euro-américaines au niveau des gouvernements sont en outre caractérisées, au moins vu de Washington, par l’indifférence, l’incompréhension, voire une forme d’agacement. Indifférence, tout d’abord. De toute évidence, l’Europe n’est pas la priorité de la nouvelle administration. L’idée du G2 avec la Chine (en tout cas dans les esprits américains) éclipse des alliés européens jugés archaïques et frileux. L’administration Obama pense que les Européens n’ont vocation qu’à déférer aux injonctions de Washington, en bloc (au sein de l’Otan) ou en détail. Du coup, la réticence de la majorité des Européens à contribuer à l’effort militaire en Afghanistan est perçue comme la confirmation qu’ils ne sont utiles à rien.
Incompréhension, ensuite. L’administration Obama ne comprend pas plus que ses devancières l’équilibre économique et social européen ; elle ne cherche pas à comprendre les réticences de certains Européens à l’idée d’une élimination des armes nucléaires ; elle refuse de comprendre les problèmes rencontrés par les Européens (notamment les Français) à l’égard du G2 et de la Russie, objets de toutes ses attentions pour tenter de retrouver un cadre structuré de politique étrangère et de parvenir à réduire un budget de la défense dont l’électorat démocrate critique sans relâche l’ampleur au détriment des programmes sociaux.
Agacement, enfin. La fermeté européenne sur la question du TNP et de l’Iran met en lumière les incohérences et la procrastination américaines, ce qui exaspère d’autant plus les représentants de l’administration Obama qu’ils ont l’impression qu’en cas de problème militaire, ce sont les Etats-Unis qui assumeraient l’essentiel de la charge de défendre les Etats du Golfe, ce dont ils sont actuellement incapables en raison des guerres d’Irak et d’Afghanistan. La position américaine est d’autant plus faible qu’il est très peu vraisemblable que le Sénat ratifie le Traité d’interdiction des essais nucléaires d’ici 2011 au plus tôt, ce qui aboutirait au paradoxe que les Etats-Unis, lors de la conférence d’examen du Traité de non-prolifération en 2010, prêcheraient la non-prolifération tout en étant eux-mêmes incapables de mettre en place ce qu’ils préconisent pour les autres.
Sur un plan plus personnel, Obama, cérébral et peu démonstratif, paraît parfois penser que les dirigeants européens cherchent à l’instrumentaliser au service de leurs objectifs de politique intérieure ou de reconnaissance internationale. Il a une conscience aiguë de la supériorité américaine, donc de la sienne propre par rapport à ses homologues, et l’exprime par une sorte de mise à distance inhabituelle chez les hommes politiques américains et qui rend compliquées les relations personnelles avec lui, comme plus d’un chef d’Etat ou de gouvernement européen peut en attester.
Les analyses qui précèdent conduisent à un relatif pessimisme à court terme sur l’évolution de la relation euro-américaine et les résultats possibles de la politique étrangère et de sécurité d’Obama. Par ailleurs, le cycle politique américain dépend de facteurs sur lesquels les Européens ont peu de prise, et la politique étrangère n’est pas ce sur quoi se gagneront les élections de mi-mandat de 2010. Les alliés européens des Etats-Unis en viendront peut-être à regretter George W. Bush…
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