Robert Byrd, a Life in the Senate

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Chronique

Robert Byrd, une vie au Sénat, par Corine Lesnes

LE MONDE | 18.11.09 | 14h06

A minuit, le vénérable sénateur Robert Byrd, qui était déjà une légende (et tout un poème), est entré dans l’Histoire. Avec 20 774 jours de service (soit 56 ans et 320 jours), le démocrate a battu, mercredi 17 novembre, le record de longévité au Congrès. Depuis 2006, il détenait déjà celui du Sénat (devançant de peu Ted Kennedy, qui depuis lui a faussé compagnie). Le voilà désormais couronné doyen des deux Chambres. Une réalisation “monumentale”, a-t-il estimé.

Dans une enceinte qui fait grand cas du protocole, où les élus se parlent à la troisième personne (“Je remercie le distingué sénateur de Virginie-Occidentale pour ses propos aimables à mon égard”) l’événement devait être fêté mercredi avec éclat : discours du chef de la majorité, Harry Reid, “l’estimé sénateur du Nevada” ; assaut d’amabilités, et vote d’une résolution honorant le 1 579e sénateur depuis la fondation de la république, un homme qui a traversé le siècle et ses périodes sombres. Membre du Ku Klux Klan à 24 ans, Robert Byrd est entré à la Chambre en 1952, au Sénat sept ans plus tard. Il s’est opposé à la déségrégation dans les années 1960, pour finir sa trajectoire en héros de la gauche antiguerre, en 2003, après un discours au canon contre les “pouvoirs impériaux” de George W. Bush.

Un hommage devait aussi être organisé chez lui, en Virginie-Occidentale, un Etat de “cols bleus”, de mines de charbon et de vallées encaissées. En 2007, lorsque le sénateur a passé le cap des 18 000 votes, la Virginie lui a décerné la médaille d'”homme du siècle”.

Cette fois, les fidèles devaient se rassembler dans la rotonde du capitole de Charleston, où le sénateur a déjà sa statue. Robert Byrd aime à rappeler qu’il y a un demi-siècle, la Virginie ne comptait que 6 km d’autoroutes. Aujourd’hui, elle en possède plus de 50 000 km. Les Virginiens vouent à leur parlementaire une affection éternelle. Ils circulent sur la voie express Robert C. Byrd, la rocade Robert C. Byrd, le boulevard Robert C. Byrd…

A presque 92 ans, Robert Byrd est l’auteur d’une Histoire du Sénat en quatre volumes et le héros – pas toujours volontaire – d’une collection de vidéos sur YouTube. Joueur de violon, il lui est arrivé de verser une larme en séance en évoquant son petit chien shih tzu, qui l’accompagne dans les couloirs de la Chambre haute. Son épouse l’appelait “Problème”, a-t-il expliqué, mais il préfère le nom de “Baby”. Ce jour-là, il avait pris soin de porter une cravate décorée de têtes de chien. Il était venu dénoncer les composants toxiques chinois qui menacent l’alimentation de “Baby”.

Personne ne témoigne mieux que Robert Byrd de ce club de notables qu’est le Sénat des Etats-Unis, “l’organe délibératif le plus noble du monde”, comme aiment à dire les sénateurs, mais qui, en un an, n’a encore passé ni réforme du système de santé ni loi sur le climat (à l’agacement non dissimulé des Européens). Les sénateurs américains vont à leur train. Ils sont dotés de pouvoirs sans équivalent dans les autres démocraties. Chacun d’entre eux peut bloquer une nomination, à lui tout seul, pendant des mois (en général pour manifester sa mauvaise humeur sur un tout autre sujet).

Enfant adopté, Robert Byrd a étudié le droit pendant qu’il était au Congrès. Il aime à réciter Walt Whitman ou Shakespeare en séance, mais dans les délibérations de la commission des appropriations, il ne fait pas de sentiment. Il empile les subventions pour son Etat, le “porc”, comme on dit dans le jargon. L’an dernier, il a réussi à faire octroyer 60 subventions à sa circonscription, pour un total de 123 millions de dollars. Comme l’a dit un de ses anciens collègues, Robert Byrd est le “principal agent du développement économique de la Virginie-Occidentale”. En témoignent le barrage Robert C. Byrd, le centre de biotechnologies Robert C. Byrd, le pont, le lycée technique… “Certains m’ont surnommé le “roi du porc”. Cela ne me dérange pas du tout”, confiait l’intéressé il y a quelques années. Le sénateur défend bec et ongles les intérêts de ses administrés et, partant, de l’industrie du charbon. Avec Mitch McConnell, le leader républicain, élu d’un autre Etat minier, il a longtemps bloqué la fermeture de la centrale électrique du Congrès, qui fonctionne encore au charbon.

Dans son livre (L’audace d’espérer), Barack Obama a donné une description du vieux sénateur (qui lui a apporté son soutien pendant les primaires, alors que les démocrates locaux, méfiants, préféraient nettement Hillary). Sa vie a été “le combat de tendances opposées”, écrit-il, “l’ombre et la lumière”. Pour lui, le parcours de Robert Byrd est emblématique du fonctionnement du Sénat, qui est le reflet du “grand compromis” sur lequel est fondée la démocratie américaine : le grand “marchandage” entre le Nord et le Sud, entre les droits des Etats et ceux des minorités.

Un lieu de temporisation mais aussi “un instrument pour protéger les riches contre la populace et assurer les propriétaires d’esclaves que personne ne viendrait s’ingérer dans leur “institution particulière””. Le Sénat américain est resté le lieu des compromis. L’ennui, pour le reste du monde, est qu’il se comporte souvent comme s’il avait l’éternité devant lui.

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