On the Danger of Positive Thinking

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Du péril de la pensée positive, par Corine Lesnes

02.12.09

Cela commence au berceau. A peine ont-ils ouvert les yeux que les enfants américains s’entendent décerner les félicitations générales : “Good job !”. Toute leur scolarité est jalonnée des mêmes encouragements. En primaire, nul ne s’aviserait de les culpabiliser sur l’orthographe : on loue leur créativité (creative spelling). Quelles que soient leurs prouesses (ou absence de), les jeunes grandissent avec l’impression qu’ils ont bien fait, ou en tout cas de leur mieux.

Mal en prend à ceux qui relativisent. Quand Barack Obama, avec sa longue silhouette, a fait remarquer que les enfants de Singapour font trois fois mieux que leurs camarades américains dans les tests de maths internationaux, il a été considéré comme un rabat-joie anti-patriote ou peu s’en faut.

L’esprit positif est l’une des grandes forces des Etats-Unis. On ne pense pas “américain” sans voir l’optimisme, l’esprit entreprenant, la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide, les promesses plutôt que les obstacles. L’optimisme est inscrit dans l’ADN national. Demain sera meilleur qu’aujourd’hui. C’est une forme de politesse, un bouclier. Et toute une économie. Comme l’a fait remarquer Robert Reich, “l’optimisme est ce qui explique pourquoi nous épargnons si peu et dépensons autant”.

C’est aussi l’une des grandes différences transatlantiques. Il y a un an, en pleine crise, le Financial Times a publié une enquête internationale. Qui étaient les champions du pessimisme ? Les Français (of course). Les plus optimistes ? Les Américains, devant tous les Européens.

Mais ces temps-ci, l’optimisme est un peu en berne. Comme tous les ans, les Américains se sont rendus massivement dans les magasins, le lendemain de Thanksgiving, mais ils ont dépensé moins. Et le positive thinking, ce pilier de la puissance américaine, est lui-même ébranlé. Une offensive sournoise, sous la forme d’un petit livre jaune (couleur de l’enthousiasme néanmoins, l’éditeur n’est pas dupe), écrit par Barbara Ehrenreich, auteur de multiples enquêtes sur les laissés-pour-compte du rêve américain. Diplômée de sciences, la chercheuse est d’un naturel sceptique pour ne pas dire grognon, quoi qu’elle ait aussi écrit une Histoire de la joie collective et qu’elle n’ait “rien contre passer une bonne journée, ou sourire à des étrangers”.

En 2000, Barbara Ehrenreich a eu un cancer du sein. Autant que par le traitement, elle a été suprêmement agacée par les gourous du ruban rose, et tous ces gens positifs qui vous ordonnent de prendre le cancer du bon côté (“la meilleure chose qui me soit jamais arrivée”, comme l’a juré un jour Lance Amstrong). La malade Ehrenreich, elle, ne décolérait pas. Elle a étudié les statistiques : rien ne prouve que les gens heureux vivent plus longtemps.

Sur sa lancée, elle est partie en guerre contre le “culte obligatoire de la bonne humeur” qui exige des Américains qu’ils répriment leurs sentiments négatifs et professent sans faillir que tout ira bien. Ce n’est plus une attitude, dit-elle, mais une “idéologie” qui a fini par produire une “capacité, de l’ordre du réflexe, à écarter les nouvelles qui dérangent”.

La pensée positive refuse de considérer les conséquences négatives, de peur que leur simple évocation ne conduise à un comportement d’échec. Pour Barbara Ehrenreich, ce genre de raisonnement a conduit aux illusions de l’invasion de l’Irak ou la fuite en avant sur les subprimes. Comme Ronald Reagan, George Bush n’aimait que les bonnes nouvelles. (“Je crois avec optimisme que tous les problèmes vont être résolus”, confia-t-il à la presse le jour de son 60e anniversaire).

Dans son livre (Bright-sided, Metropolitan Books), Barbara Ehrenreich remonte aux origines de la pensée positive. Ce fut d’abord une réaction contre les rigueurs du calvinisme. Après la guerre civile, Mary Baker Eddy, la (future) fondatrice du Christian Science Monitor, et Phineas Parker Quimb, un inventeur et métaphysicien, ont propagé l’idée que Dieu n’était pas si méchant, qu’il n’avait pas voué ses créatures aux tourments éternels, et que le monde était plein de promesses.

Aujourd’hui, la discipline est enseignée dans les universités qui ont ouvert des facultés de “psychologie positive” voire de “sciences du bonheur”. Et par les églises évangéliques (dans lesquelles, on ne voit jamais un Jésus sur la croix, trop déprimant). L’évangile des “megachurches” est celui de la prospérité. “Dieu aime que vous que vous soyez riche.” Oubliez le péché et la culpabilité.

La charge est excessive mais le livre a été amplement commenté, ce qui reflète l’esprit de démoralisation ambiant. Comme dans les années 1980, on reparle du déclin américain. Il n’est qu’à voir la couverture de Newsweek cette semaine. “Un empire en danger.” On y voit le Capitole, la tête en bas. “Comment s’effondrent les grandes puissances”, promet l’article, signé de l’historien – britannique – Niall Ferguson. Le magazine Time n’est pas plus réjouissant.

“Est-ce le crépuscule sur l’Amérique ?” interroge le critique cinéma. Il est vrai que la nouvelle saga de la série “Twilight” (“pénombre”) a battu les records d’entrée dans les salles. Une réjouissante histoire de vampire qui, Dieu merci, se termine bien.

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