Edited by Robin Silberman
S’il est un Américain qui aurait mérité le prix Nobel de la paix, c’est lui. Sa candidature avait d’ailleurs été présentée par un groupe d’élus du Congrès, démocrates aussi bien que républicains. Quand le jury norvégien a rendu sa décision, le 9 octobre, Greg Mortenson se trouvait à Saint Louis, au bord du Mississippi. Il se livrait à ce qui l’occupe l’hiver, quand il n’est pas au Pakistan ou en Afghanistan : parler de la paix. Une école à la fois.
Barack Obama a reçu le prix Nobel et il a engagé des renforts dans ce qu’il continue de considérer comme une “guerre juste”, huit ans après le 11 septembre 2001. Modestement, Greg Mortenson se borne à construire des écoles. Des écoles de filles, principalement. A ce jour, il en a ouvert 91 au Pakistan et 40 en Afghanistan (soit au total 58 000 élèves). En 2007, l’un des établissements a été attaqué par les talibans. Le seigneur de guerre local, qui avait deux filles scolarisées, a réuni une petite milice et il est allé leur dire ce qu’il en pensait. L’école a rouvert trois jours après.
Greg Mortenson apparaît rarement à la télévision mais les files d’attente, pour aller l’écouter présenter son livre Three Cups of Tea, s’étirent sur des centaines de mètres. Quand il est passé à Washington, le 3 décembre, le public comptait des officiers de haut rang, et Jill Biden, l’épouse du vice-président. Le bâtisseur d’écoles dit qu’il ne s’explique pas très bien lui-même cet engouement. A un moment de doute, il rassure ses compatriotes en tout cas. Il les réconcilie avec la “mission”en Afghanistan. Grâce à eux, leur dit-il, Shakila Khan, 22 ans, est maintenant en dernière année de médecine. Elle sera la première femme médecin dans une région de 1,2 million d’habitants. Grâce à eux, les fillettes de Chunda vont pouvoir aller à l’école, après huit ans de refus par le mollah local…
Sorti en 2006, Three Cups of Tea (Trois tasses de thé, Glénat) a passé cent quarante semaines sur la liste des best-sellers du New York Times. Il a été publié dans vingt-neuf pays. Le général Petraeus et l’amiral Mike Mullen, les deux chefs de guerre, l’ont lu (“sur les conseils de leur femme”, sourit Mortenson, qui a l’air de croire qu’il n’y a pas qu’en Afghanistan que les femmes sont l’avenir du maintien de la paix). L’ouvrage fait maintenant partie des lectures obligatoires dans les académies militaires où l’on diffuse la nouvelle approche américaine de la contre-insurrection. A voir les photos de Greg, on se surprend à penser qu’il n’est peut-être pas si difficile d’apprivoiser les talibans. La preuve voilà deux religieux à turban, hilares, dans une école de la région natale du mollah Omar. Ils swinguent pour la première fois de leur vie sur une balançoire. Mais avant d’en arriver là, il a fallu des années de persévérance, deux fatwas et une prise d’otage (huit jours dans le Waziristan). A noter que Greg a aussi été interrogé deux fois par la CIA.
Greg Mortenson commence toutes ses interventions par “Salam aleikoum”, la paix soit avec vous. Il raconte son cheminement “circulaire”. Fils d’un couple d’enseignants luthériens du Minnesota, partis s’installer en Tanzanie, au pied du Kilimandjaro, il a repris le flambeau, dans le Pamir, au pied du K2. Son père professait déjà que les populations locales doivent être chargées des projets de développement qui les concernent. Greg insiste pour que les villages fournissent la main-d’oeuvre pour les écoles. Au contact d’un vieux sage, qui lui a appris à écouter le pays, il a cessé de chercher à s’occuper de tout. “Rien ne marchait. Quand je les ai laissés faire, trois semaines après l’école avait ouvert”, dit-il. Entre-temps, il a bu beaucoup de thé. (“La première tasse est servie aux inconnus, la deuxième aux amis. A la troisième, vous êtes de la famille.”)
Greg Mortenson n’est pas un grand adepte de la “guerre antiterroriste”. Il s’est longtemps battu contre le sous-titre imposé à son livre par l’éditeur : “La mission d’un homme contre le terrorisme”. Le succès venant, il a enfin pu imposer le sien : “La mission d’un homme pour promouvoir la paix.” “Terrorisme, ça joue sur la peur,dit-il. La paix, sur l’espoir.” Il n’est pas favorable à l’envoi des renforts décidé par Barack Obama. “Plus de troupes, c’est plus de conflit et plus de violence”, dit-il. Surtout, il reproche à la Maison Blanche de ne pas avoir demandé leur avis aux Afghans. Non pas au gouvernement Karzaï, inexistant, mais aux vraies structures influentes, les Shura, qui comprennent les anciens, les notables, les hommes d’affaires. Pourtant, souligne-t-il, son organisation non gouvernementale, Central Asia Institute, a organisé tente-cinq rencontres entre ces assemblées locales et le général McChrystal. A chaque fois, le commandant s’est entendu réclamer “non pas des troupes de combat” mais des coopérants spécialisés.
Avant sa mort, celui qu’il considérait comme un père d’adoption, Haji Ali, le vieux sage, le lui avait conseillé : “Quand j’aurai disparu, viens sur ma tombe et écoute le vent.” C’est ce qu’il fait souvent. Comme l’a écrit Robert Abdul Hayy Darr, un autre de ces amoureux de l’Afghanistan, Greg Mortenson apporte à ceux qui ont de bonnes raisons d’en douter, la preuve que l’ingérence d’un Américain dans les affaires d’autrui n’est pas condamnée à mal tourner.
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