Edited by Harley Jackson
Depuis hier, dans les aéroports, le profilage des voyageurs qui se rendent aux États-Unis est devenu une mesure officielle. Palpation corporelle et fouille obligatoire des bagages à main des ressortissants de 14 pays ainsi que des passagers qui ont transité par ces pays.
Il est pour le moins ironique de voir le profilage officialisé sous l’administration Obama. Le même Obama, Noir pas tout à fait noir, au deuxième prénom arabe «douteux» aux yeux de ses adversaires, qui rêve d’une Amérique postraciale. Le même Obama qui proclamait haut et fort que les États-Unis n’ont pas à choisir entre la sécurité et leurs idéaux. Maintenant, au nom de la sécurité, les idéaux postraciaux en prennent pour leur grade.
Ainsi, si la vie vous a fait naître dans l’un des 14 pays de la liste noire américaine (Cuba, Iran, Soudan, Syrie, Afghanistan, Algérie, Arabie Saoudite, Irak, Liban, Libye, Nigeria, Pakistan, Somalie, Yémen) ou si vous êtes passé par l’un de ces pays, vous appartenez officiellement au camp des suspects. Vous devrez être obligatoirement palpé et fouillé à l’aéroport.
Ces directives, on le sait, font suite à la tentative d’attentat commise le 25 décembre par le Nigérian Umar Farouk Abdulmutallab, qui a dissimulé des explosifs dans ses sous-vêtements sur un vol Amsterdam-Detroit. Si elles permettent d’éviter des attentats, tant mieux. Mais comme le profilage était, de toute façon, déjà une réalité dans les aéroports, l’objectif semble ici avant tout politique. Dans le contexte où l’opposition républicaine accuse l’administration Obama de laxisme dans la lutte pour la sécurité nationale, il fallait rassurer la population avec des mesures musclées, proclamées haut et fort.
Le profilage signé Obama est-il plus acceptable que lorsqu’il était signé Bush? Je relis un passage de De la race en Amérique(1), ce discours d’Obama que j’avais tant aimé: «Les hommes politiques ont trop souvent exploité la peur de l’insécurité à des fins électorales. Les animateurs de talk-shows et les commentateurs conservateurs se sont bâti des carrières en démasquant des accusations mensongères de racisme tout en assimilant les légitimes débats sur l’injustice et les inégalités raciales à du politiquement correct ou du racisme à l’envers.» Je relis et je suis déçue, même si je savais que j’allais l’être.
Jusqu’où doit-on aller au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme? Débattre de cette question est un exercice profondément frustrant dans un Occident partagé entre ses valeurs démocratiques et la nécessité de se défendre contre des terroristes jihadistes qui ont appris à exploiter pernicieusement ces mêmes valeurs. Rappelez-vous le cri de Ramzi Mohammed, l’un des auteurs des attentats ratés de Londres, arrêté en juillet 2005. «J’ai des droits!» avait-il lancé aux policiers qui le mettaient en joue pour éviter toute action suicide. Des droits…»Il n’avait en tout cas pas accordé les mêmes aux passants qui l’entouraient quand il avait tenté de faire exploser sa charge», rappelle Philippe Migaux, coauteur du recueil Histoire du terrorisme(2).
Ainsi, à cause d’une poignée d’islamistes radicaux, on traitera comme des suspects des millions de gens dont le seul crime est d’être nés dans un pays à majorité musulmane (ou à Cuba, seul pays non musulman sur la liste noire, accusé par Washington de soutenir le terrorisme).
Jusqu’où doit-on aller au nom de la sécurité? Pour ceux – j’en suis – qui tiennent autant à la lutte contre le terrorisme qu’au respect des idéaux démocratiques, aucune posture n’est vraiment satisfaisante dans ce débat. Si on critique l’accroc aux droits de l’homme, on se fera accuser d’angélisme ou, pire encore, de complicité avec les terroristes. Si on applaudit le profilage systématique, on se fera accuser de céder à l’obsession sécuritaire et d’encourager l’exclusion – exclusion qui nourrit encore davantage la propagande de recrutement des terroristes.
Au final, les grands gagnants du débat restent les terroristes eux-mêmes, qui auront atteint leur objectif: semer la terreur.
Triste époque.
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