Steve Jobs, the Ultimate End-User

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S’il vous arrive cette semaine de passer devant un kiosque à journaux, pensez à regarder l’hebdomadaire The Economist. Même si vous ne parlez pas anglais, vous comprendrez tant sa couverture est spectaculaire. Sous le titre “The Book of Jobs”, on y voit le patron de la firme Apple, tel une figure divine, son désormais fameux iPad en main comme s’il s’agissait des Tables de la Loi. Courrier international n’est pas en reste avec ce titre recouvrant une mosaïque “informatisée” représentant le visage de ce même Steve Jobs : “L’homme qui change nos vies”. Déjà, il y a deux ans, peu avant le lancement de l’iPhone, le New York Magazine avait titré : “iGod”.

Bref, pour la quatrième fois – auparavant, il y eut le Mac, l’iPod et l’iPhone -, le fondateur d’Apple vient de nous refaire le coup du messie technologique qui va changer le monde. Et Dieu que ça marche ! Un rapide coup d’oeil sur Internet suffit : tous les médias de la planète, au même moment, ont célébré la naissance du divin iPad. A cette occasion, Apple a sans doute pulvérisé le record de la publicité gratuite la plus efficace du monde. Quant aux chroniqueurs médias, ils en perdent la tête. Ainsi, David Carr, du New York Times : “Je n’ai pas été aussi enthousiasmé à l’idée d’acheter quelque chose depuis mes 8 ans, quand j’ai commandé de petits hippocampes proposés en quatrième de couverture d’un magazine de bandes dessinés.” Steve Jobs ou une capacité extraordinaire à redonner le sens de l’émerveillement enfantin. “Ce n’est pas un ingénieur, expliquait l’écrivain Dan Lyons dans The Times. Il est à peu près incapable de concevoir quoi que ce soit et il ne connaît rien aux circuits imprimés. Mais c’est le modèle parfait de l’utilisateur final, le type qui est de notre côté.” Un “narcissique productif”, ajoutait le psychiatre Michael Maccoby.

Reste à nous interroger sur nous-mêmes, sur nos comportements d’acheteurs compulsifs. Pourquoi sommes-nous si sensibles à ces climats d’attente inventés de toutes pièces par des maîtres du marketing, qu’il s’agisse de l’iPad, du nouvel Harry Potter ou d’Avatar ?

Dans Le Désenchantement du monde (Gallimard), Marcel Gauchet caractérisait le devenir des sociétés contemporaines comme un mouvement vers une société hors religion : “Le déclin de la religion se paie en difficulté d’être soi.” Ayant écrit cet ouvrage en 1985, il n’avait pas assisté à l’avènement de Jobs. “La mort de Dieu, ajoutait-il, ce n’est pas l’homme devant Dieu se réappropriant l’absolue disposition consciente de lui-même qu’il lui avait prêtée ; c’est l’homme expressément obligé au contraire de renoncer au rêve de sa propre divinité. C’est quand les dieux s’éclipsent qu’il s’avère réellement que les hommes ne sont pas des dieux.”

Convenons alors, d’un abus de langage, que Steve Jobs est, à tout le moins, un dieu de l’innovation technologique et du marketing.

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