Les Etats-Unis ont, pour la première fois depuis l’élection de Barack Obama, signalé solennellement leur intention de peser sur les affaires de l’Europe en matière de sécurité. Le message a été délivré à Paris, le 29 janvier, dans un discours de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Après l’absence de M. Obama aux cérémonies commémorant la chute du mur de Berlin, en novembre 2009, ce n’était pas un simple exercice de rattrapage.
Le choix de Paris n’était pas anodin, un an après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. La France veut s’afficher comme un interlocuteur privilégié de la Russie en Europe, à l’occasion de l’année culturelle croisée qui verra les présidents Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev se rendre visite. Paris multiplie les signaux, petits et grands, d’un reset (“remise à zéro”) à la française. Il accueille ainsi avec une prudente bienveillance le plan Medvedev de refonte de “l’architecture de sécurité en Europe”.
Quand l’administration Obama espère la coopération de Moscou sur nombre de sujets – Iran, désarmement nucléaire, Afghanistan -, Mme Clinton pouvait difficilement exprimer des réserves à propos du solo diplomatique de l’allié français. Même si, dix jours plus tard, le secrétaire à la défense, Robert Gates, en visite à Paris, laissait filtrer dans le New York Times qu’il n’était pas enchanté par le projet de vente du navire français Mistral à la Russie, première livraison du genre par un pays de l’OTAN.
Mme Clinton a posé des jalons. Elle a communiqué, pour la première fois, la réponse officielle américaine à la proposition du président Medvedev d’un nouveau “traité” sur la sécurité en Europe : c’est non. Il faut travailler “dans le cadre des institutions existantes, comme l’OSCE ou le conseil OTAN-Russie, plutôt qu’en négociant de nouveaux traités comme la Russie l’a suggéré”, a-t-elle dit.
Reprenant un fil conducteur qui court depuis les années 1990 dans la diplomatie américaine, la secrétaire d’Etat a évoqué l’élargissement à l’Est des structures euroatlantiques. Si la Russie “pendant des années a exprimé un sentiment d’insécurité quand l’OTAN et l’Union européenne s’étendaient” à l’Est, Mme Clinton considère ce grief comme infondé : ces processus ont ” accru la sécurité de la Russie” elle-même.
En Europe, “la pierre angulaire de la sécurité est la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les Etats”, a-t-elle souligné. Les “nouvelles démocraties” doivent pouvoir tracer leurs choix, “libres de toute intimidation extérieure ou agression”. Les Etats-Unis appellent “de façon répétée la Russie à honorer les termes du cessez-le-feu avec la Géorgie”, négocié en 2008 par la France. A cet égard, Mme Clinton a annoncé des mesures pour écarter le spectre de nouveaux affrontements armés dans l’espace européen : sauver des limbes le traité de 1990 sur les armes conventionnelles en Europe (FCE), dont la Russie s’était retirée quelques mois avant la guerre de Géorgie ; et créer, au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), des mécanismes d’alerte efficaces contre les tensions régionales ou les ruptures d’approvisionnements énergétiques.
L’OTAN, a poursuivi Hillary Clinton, doit réaffirmer la solidité de l’article 5, qui exprime la solidarité entre alliés. Cela passe par l’élaboration de plans d’urgence (contingency plans) pour parer à toute éventualité, en Europe orientale et dans la région balte par exemple. Le nouveau Concept stratégique de l’OTAN, qui sera élaboré cette année, devra aussi prendre en compte une “priorité particulièrement pressante : la sécurité énergétique”.
“La Russie n’est plus notre adversaire, mais un partenaire sur des questions clefs globales”, a insisté Mme Clinton. La Russie est invitée à rejoindre le projet de bouclier antimissile nouvelle version, que l’administration Obama prépare en Europe. “Il n’y a pas plusieurs Europe, de l’Ouest ou de l’Est, nouvelle ou vieille, de l’OTAN ou hors de l’OTAN. Il y a une Europe, qui inclut les Etats-Unis comme partenaire. C’est une Europe qui inclut la Russie”, a dit la secrétaire d’Etat. S’exprimait ainsi une volonté d’entretenir un dialogue apaisé mais lucide avec Moscou, loin des acrimonies de l’époque de George W. Bush. Doublée cependant d’une volonté tout aussi manifeste de cadrer le débat en Europe face à une Russie qui joue sur les divisions entre les Etats, négocie serré sur le désarmement nucléaire, et cherche à engranger sans contrepartie les avantages des différents reset qui s’offrent à elle.
Trois jours après ce discours, le directeur du renseignement national américain, Dennis Blair, faisait, dans un rapport annuel sur les menaces dans le monde, quelques observations concernant la Russie. La cause “la plus probable” de nouvelles crises sur le continent européen provient des “conflits non résolus du Caucase”, avec un “risque de reprise des combats en Géorgie”, où “Moscou a étendu sa présence militaire dans les régions séparatistes”, affirme-t-il.
La Russie place ses relations avec ses voisins de l’ancien espace soviétique dans “un jeu à somme nulle vis-à-vis des Etats-Unis”, tandis que les services secrets russes continuent d’être “renforcés et dirigés contre les intérêts américains dans le monde”. M. Medvedev est attendu à Paris début mars.
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