La vaste offensive lancée dans le Helmand progresse plus lentement que prévu et les bavures contrarient les efforts des militaires pour gagner la confiance de la population.
Deux mois après la décision sur l’envoi de renforts prise par le président Obama, l’armée américaine peine en Afghanistan, où elle ne cesse de perdre des hommes et de sacrifier malencontreusement des civils, en même temps qu’elle guerroie pied à pied contre l’armée invisible des talibans. Alors qu’elle a lancé il y a dix jours une offensive présentée comme décisive et exemplaire dans la très dangereuse province du Helmand, dans le sud, ses chefs militaires multiplient les déclarations publiques pour appeler le pays à «s’armer de courage».
Le chef d’état-major des armées, Michael McMullen, a averti qu’il fallait s’attendre à des pertes encore plus lourdes dans les prochains mois. L’opération «va plus lentement que prévu», a reconnu de son côté le secrétaire à la Défense, Robert Gates, lundi, tout en précisant que ces difficultés ne remettaient nullement en cause la stratégie de contre-insurrection planifiée par le commandant en chef des forces de la coalition, Stanley McChrystal. Un jour plus tôt, le commandant en chef du théâtre d’opération Asie-Moyen-Orient, David Petraeus, qui a conçu le plan d’attaque en étroite symbiose avec McChrystal, annonçait lui aussi une longue marche, parlant de douze à dix-huit mois difficiles avant toute percée significative.
Les généraux américains ont massé quelque 15 000 soldats (de la coalition et afghans) autour de la ville de Marijah, connue pour être l’un des principaux bastions talibans de la province du Helmand, dans le but de démontrer leur capacité à priver leurs ennemis de leur terrain. En huit jours, la bourgade de 80 000 habitants est tombée entre leurs mains, mais les militaires se heurtent à une résistance acharnée et inattendue dans les environs de la ville, où des snipers islamistes embusqués continuent de résister et de poser des bombes artisanales. Pour les déloger, les troupes américaines s’aident des fameux avions sans pilote drones, qui effectuent des reconnaissances régulières au-dessus du théâtre d’opérations. Il appartient ensuite aux officiers présents sur le terrain d’ordonner des frappes aériennes ciblées ou d’agir à partir du sol.
Nouveau mot d’ordre
Le dilemme est grand, car des enfants jouent souvent à proximité des lieux de combat, et toute frappe mal ciblée génère des pertes collatérales civiles, qui réduisent souvent à néant les fastidieux efforts des militaires pour gagner la confiance de la population. «Nous devons souvent choisir entre exposer nos hommes ou exposer les civils» , confiait lundi dans le Washington Post un officier plongé dans les affres de décisions quotidiennes déchirantes, alors que l’Amérique a déjà perdu 1 000 hommes en Afghanistan. Une frappe aérienne ordonnée dimanche contre un convoi de bus dans le sud a d’ailleurs fait au moins 27 morts civils et une douzaine de blessés, suscitant un tollé à Kaboul. Le général McChrystal, «furieux» selon le Post, s’est excusé auprès du président Karzaï et a dénoncé la décision de ses subordonnés, jugeant que la frappe ne pouvait être justifiée, car «aucun danger ne menaçait les forces de la coalition» . Évoquant cette bavure, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a souligné qu’elle faisait malheureusement «partie de la réalité de la guerre». Avocats de la philosophie de la contre-insurrection, qui vise à «gagner les cœurs et les esprits» des Afghans en sécurisant les populations civiles, Petraeus et McChrystal ont fait de la réduction des pertes civiles l’une de leurs priorités, mais peinent visiblement à mettre en œuvre ce nouveau mot d’ordre sur un terrain mouvant, particulièrement difficile à déchiffrer.
Les généraux américains rencontrent aussi de grosses difficultés dans leur mission de formation et de mise à niveau de l’armée afghane. Des envoyés spéciaux du New York Times et du Post constataient ces derniers jours, depuis le Helmand, que l’essentiel de l’opération menée à Marijah reposait sur les forces internationales. David Hogg, l’un des généraux en charge de l’entraînement et du recrutement des Afghans, confiait récemment avoir la plus grande peine à recruter des troupes, notamment des officiers. La pratique consistant à «acheter une position de gradé» reste en effet très en cours, notait-il, insistant sur la difficulté de recruter dans l’ethnie majoritaire pachtoune au sud. Les cas de défection de soldats vers les rangs talibans sont également fréquents, montrant toute la précarité du terrain sur lequel évolue l’armée américaine. Tout en s’avouant convaincu d’avoir mis en place toutes les conditions d’un succès, le général Davis Petraeus, qui a l’expérience du surge irakien et en a fait un modèle d’action, préfère d’ailleurs plutôt se dire «réaliste» qu’optimiste. «La réalité, c’est que c’est très difficile, a-t-il confié dimanche au journaliste David Gregory. Mais nous sommes là-bas pour une raison très, très importante. Et nous ne devons pas l’oublier.»
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