La presse américaine ayant dûment informé ses lecteurs du débat sur l’identité française, il n’est pas incongru d’apporter, ici, une contribution. Vus de l’étranger, les Français se réduisent souvent à deux catégories, pour ne pas dire clichés : les casaniers, généralement représentés avec le tandem baguette-béret. Et les cinglés, globe-trotteurs et aventuriers, qui traversent le Pacifique à la rame ou marchent sur un fil entre deux gratte-ciel. La réalité est évidemment plus nuancée. Il y a les inclassables, les Français du troisième type. Hervé Mazzocco, par exemple. Il a essayé de quantifier l’érosion fluviale sur Mars et il joue au rugby dans l’équipe des Blackjacks à Las Vegas.
A 32 ans, Hervé Mazzocco se trouvait la semaine dernière dans un endroit où l’on ne se serait pas attendu à rencontrer un Français : le lycée d’Henderson, dans le Nevada, une ancienne banlieue modeste de Las Vegas, devenue résidentielle depuis que les cités-dortoirs ont été reléguées encore plus loin dans le désert. Dans le gymnase, 1 800 personnes étaient venues écouter Barack Obama : lycéens, profs, élus, associations, militants démocrates. Le président venait de tomber la veste, comme il le fait quand il a fini son discours introductif et qu’il s’apprête à répondre aux questions de l’assistance. Cela amuse toujours un peu la foule, qui émet quelques sifflets approbateurs.
Barack Obama était de bonne humeur : “Hier soir, au casino, j’ai tiré une quinte flush royale. J’ai réduit le déficit de moitié.” Mais les temps sont durs à Las Vegas, ville sinistrée par la chute du tourisme. Peggy, employée d’US Airways, était au chômage partiel depuis dix-sept mois, et 500 de ses collègues allaient subir le même sort. Une d’entre eux se sentait broyée par la machine : accident de travail, pension d’invalidité, plus d’assurance-santé, saisie de la maison… Quand est venu le tour des hommes (Obama aime à alterner ses interlocuteurs, “fille-garçon, fille-garçon”), le président a donné le micro à un sexagénaire habillé aux couleurs des Cubs (l’équipe de base-ball de Chicago), bien qu’il soit un fan des White Sox (“pour montrer que je n’ai pas de parti pris”). Puis à un costaud en veste noire, polo noir. “Il est grand : j’ai intérêt à lui donner la parole, a-t-il plaisanté. Vous me direz, je suis grand aussi…”
Hervé Mazzocco avait obtenu son ticket d’entrée par tirage au sort. Deuxième coup de chance, le président américain l’interrogeait. Au lieu de lui parler des Blackjacks, le rugbyman a entrepris Barack Obama sur l’indispensable rôle de l’Etat dans le développement des énergies nouvelles (depuis quatre ans, Hervé a laissé tomber Mars et la recherche fondamentale pour le business de l’énergie solaire à Las Vegas). “Je suis originaire de France – en fait d’Afrique, a-t-il dit. En Europe, le carbone est réglementé. Je suis bien placé pour constater que c’est efficace. J’ai une compagnie en France aussi. Elle a connu une expansion de 30 % ces deux dernières années.”
De fait, le “Frenchie” expliquait au président des Etats-Unis que s’ils ne s’engouffrent pas dans la “fenêtre d’opportunité” actuelle, ses compatriotes seront “distancés” dans trois ans. Barack Obama ne s’est pas formalisé. Il a répondu en soulignant la marge étroite dont il dispose sur la scène politique. “Avec la santé, c’est l’autre sujet sur lequel les conservateurs insistent pour montrer à quel point je suis horrible. Pour eux, un marché d’émissions serait un pas de plus dans la mainmise du gouvernement sur l’économie… ” Et lui-même ne cesse d’insister sur le retard que prennent les Etats-Unis. “Nous sommes les seuls qui avons manqué le bateau. Nous utilisons encore des technologies du XXe siècle quand tout le monde produit des technologies du XXIe siècle.”
Après le départ de Barack Obama, Hervé Mazzocco a répondu aux questions du Las Vegas Review Journal et il a détaillé son parcours (Le Las Vegas Sun a déjà fait son portrait sous le titre : “Il a vu le monde et Mars aussi”). Né à Abidjan, Hervé a grandi en Côte d’Ivoire, dans une famille franco-italienne qui avait une entreprise d’exportation de bois. Il a joué au rugby dès l’âge de 6 ans, et, des années plus tard, il a été le capitaine de la sélection nationale du pays. Le sport lui a permis de payer ses études. Il a été troisième ligne à l’AS Montferrand (ce qui ne l’a pas empêché de passer une maîtrise de physique fondamentale à l’université Blaise-Pascal et un master climat/physique de l’atmosphère). Il a aussi joué à Gloucester (Angleterre) et à Padoue (Italie), où il a obtenu son doctorat d’hydrologie et modélisation de l’environnement sous la direction du professeur Rinaldo. Il a été chercheur au CNRS et scientifique en résidence à la NASA à Houston (la cartographie hydrologique de Mars, toujours).
Le jeune Franco-Ivoirien-Italien-Américain n’a apparemment pas de problèmes d’identité. Pour lui, le débat est mal posé et les mots mal choisis. “Identité française”, c’est une expression comme “réchauffement climatique” : une fausse réalité. “Je suis personnellement très fier d’être français, dit-il. Et je ne manque pas une occasion de faire les éloges de mon pays partout où je vais.” Y compris sur le terrain de Barack Obama.
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