The End of a Lobbyist

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Pour qui se situe dans cette zone grise où enjeux politiques et intérêts économiques privés s’entremêlent, se tromper de cheval peut s’avérer rédhibitoire. Ainsi Billy Tauzin, puissant président du lobby des laboratoires pharmaceutiques, a-t-il annoncé, le 11 février, sa prochaine démission. Officiellement, il part pour de nouvelles aventures. Personne n’est dupe : il paye une erreur stratégique. Mort symbolique d’un commis voyageur qui, d’élu en élu, vendait sa marchandise avec un talent confirmé – comment promouvoir ou empêcher tel projet de loi – et auquel une seule faute aura été fatale

Billy présidait donc Pharmaceutical Research and Manufacturers of America, organisme plus connu sous son acronyme PhRMA – prononcez “pharma”. Tous les grands laboratoires y cotisent. Slogan : “La maladie est notre ennemi. Sauvez des vies, notre boulot”… Billy était un des princes des coulisses du Congrès. Son salaire annuel atteignait 2,5 millions de dollars. Seuls les patrons des lobbies de la finance, de l’assurance, du pétrole et de l’aéronautique-armement peuvent espérer mieux. C’est que Billy – Wilbert Joseph Tauzin II, 66 ans – détenait un des plus beaux carnets d’adresses du Congrès. Il faut dire que le parcours était sans faute – pour un lobbyiste, s’entend.

Elu en 1979 comme démocrate puis régulièrement réélu chaque deux ans, ce représentant de la Louisiane fut l’un des plus conservateurs de la Chambre, membre fondateur de la Blue Dog Coalition, rassemblement de démocrates soutenant des politiques économiques ultralibérales. A ce titre, il aida les républicains à hacher menu le projet de réforme de l’assurance-santé d’Hillary Clinton en 1994 puis bascula franchement dans leur camp. Il fut alors réélu dans sa circonscription avec les mêmes scores qu’avant : plus de 70 % des suffrages. En 2004, il annonça qu’il n’entendait pas se représenter. Après un quart de siècle au service des citoyens, il laissait sa place… à son fils ; un jeunot qu’il chercha à imposer à l’opinion et à son parti et qui fut battu. Lui, en revanche, se recasa brillamment.

Comme élu, il était déjà l’un des plus soupçonnés de corruption. Le 3 janvier 2005, jour de l’ouverture de la session du Congrès, on apprit qu’il prenait la présidence de PhRMA. Selon une insistante rumeur, il aurait été courtisé par deux lobbies – les laboratoires et les producteurs de films – et avait choisi le “mieux payant”. Au Congrès, quelques méchantes langues lui cherchèrent alors noise. A peine deux mois avant son départ de la Chambre, n’y jouait-il pas un rôle prépondérant dans l’adoption d’une loi jugée très favorable aux grands labos ? Et voilà qu’il prenait la tête de leur lobby : de quoi douter… Un code éthique interdit à un élu de monnayer ses futurs services à l’extérieur, tant qu’il est en poste. Mais allez prouver la constitution du délit ! Billy en sortit indemne.

Lobbyiste, il ne connut quasiment aucun échec. Il lutta efficacement contre l’acquisition à l’étranger de médicaments à plus bas prix. Il usa de mille ficelles pour ralentir la diffusion des produits génériques – jusqu’à sa funeste erreur. Après l’élection de Barack Obama, avec 50 millions d’Américains non assurés, 70 % de la population favorables à une réforme et les deux Chambres sous domination démocrate, l’adoption d’un nouveau système d’assurance-maladie lui a paru, comme à beaucoup d’autres, inéluctable. Il persuada les laboratoires de négocier avec la Maison Blanche un soutien à sa réforme en contrepartie de garanties. Celle-ci s’empressa de s’y engager – bien que son champion ait promis de s’émanciper des lobbies. Comment faire autrement ? Celui des assureurs étant vent debout contre toute réforme, l’équipe Obama avait besoin d’alliés. Le nettoyage des écuries de Washington attendrait.

Ainsi fut fait. L’accord fut tenu secret : en contrepartie à son soutien, le PhRMA obtenait gain de cause sur ses principaux objectifs. L’administration Obama abandonnait toute velléité de fixer un prix unique pour les médicaments de base et de négocier directement les prix pour l’assurance-santé publique des retraités (Medicare). Le secteur pharmaceutique s’engageait à réduire de 80 milliards de dollars sa part dans les surcoûts de la santé en dix ans. L’élargissement de leur marché à 50 millions d’acheteurs supplémentaires de médicaments n’avait pas de prix. Ce lobby – tournant historique – avait déjà plus contribué à la campagne de M. Obama qu’à celle de son rival John McCain. Il finança pour 150 millions de dollars des publicités favorables à la réforme.

Quand l’accord fut révélé, les “progressistes” enragèrent : M. Obama faisait affaire avec un conservateur avéré. Dans une lettre publique, le chef de la minorité républicaine à la Chambre, John Boehner, accusait M. Tauzin de “vendre les intérêts du peuple américain pour assurer les profits de son secteur”. Billy commença aussi à se sentir trahi : il jugeait avoir respecté les termes de l’accord, allant jusqu’à s’en prendre à des comportements peu éthiques de certains laboratoires. Or, plus le temps passait, plus la réforme s’enlisait dans les sinuosités procédurales du Congrès. La fronde montait au PhRMA, et Billy sentait le terrain glisser sous ses pieds.

Depuis la perte de la majorité qualifiée démocrate au Sénat, il n’est plus certain que Barack Obama soit en mesure d’obtenir le vote d’une loi, même a minima. Dans la bataille des lobbies, qui opposait le PhRMA aux assureurs santé privés, Billy a perdu. Sus au perdant. Son départ est une très mauvaise nouvelle pour M. Obama : il signifie qu’un important lobby directement concerné par sa réforme ne croit plus qu’il parviendra à la faire voter. Sauf si ledit lobby se trompe à nouveau…

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