Obama 10, Harper 0

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Religieusement, tous les deux lundis depuis maintenant trois ans, l’écrivain Yann Martel envoie une lettre et un livre à Stephen Harper. Pas tant pour l’instruire que pour accompagner ses moments de quiétude, comme l’explique Yann Martel sur son site www.quelitstephenharper.ca.

Jusqu’ici, 76 bouquins ont été envoyés au premier ministre, tous accompagnés d’une lettre polie et avenante, dans laquelle son auteur explique son choix littéraire du moment et ce que le premier ministre risque d’y trouver.

Exception faite de cinq accusés de réception, le premier rédigé par une adjointe et les quatre autres par des agents à la correspondance, Yann Martel n’a jamais reçu de lettre, de note ou de mot de Stephen Harper. Rien en trois ans. Un grand silence épistolaire.

Aussi Yann Martel a-t-il vécu tout un choc récemment en allant chercher le courrier. Ce n’est pas une missive de Stephen Harper qui l’attendait dans sa boîte aux lettres, mais une enveloppe de la Maison-Blanche. À l’intérieur, une note manuscrite du président Obama lui-même lui était adressée.

Imaginez sa stupéfaction. Boudé depuis trois ans par son propre premier ministre, Yann Martel est maintenant consolé par l’homme le plus puissant de l’Occident, et cela, sans en avoir rien demandé. Savoureuse ironie…

«Monsieur Martel, lui a écrit le président Obama, ma fille et moi venons de terminer la lecture de Life of Pi. C’est un livre charmant – une élégante preuve de l’existence de Dieu et du pouvoir de la narration. Merci.»

Yann Martel a failli s’évanouir de bonheur. Son coeur a raté un battement comme il l’écrit, ajoutant que ce qui l’ébahissait le plus, c’est la gratuité du geste. Et comment! Barack Obama n’a effectivement rien à gagner, politiquement, financièrement ou même diplomatiquement, en écrivant à un auteur canadien qui vit au fin fond de la Saskatchewan. Yann Martel n’aidera pas Barack Obama à être réélu, à faire adopter sa réforme sur la santé ni à retrouver son plein contrôle sur le Sénat.

Barack Obama ne retirera aucun bénéfice de ce geste. Et pourtant, il a tenu à le faire quand même. Il a tenu à rédiger cette petite note manuscrite toute personnelle qui dit tout. Il a tenu, avant cela, à lire un livre qui n’est ni un polar ni un best-seller en vente dans les aéroports, mais une fable philosophique belle, profonde et complexe. Il a tenu finalement à partager la lecture de cette fable avec sa fille.

En connaissez-vous beaucoup, des présidents qui lisent des livres AVEC leurs enfants? Est-ce que Stephen Harper en fait autant avec les siens? J’ose espérer que c’est le cas de temps en temps. Après tout, Stephen Harper est aussi un père de famille. Reste que, jusqu’à maintenant, c’est un père qui serre la main de ses enfants au lieu de les embrasser en les déposant à l’école. C’est aussi un homme qui a avoué récemment que, s’il avait eu le choix, entre être premier ministre et joueur de hockey, il serait devenu joueur de hockey.

En juin prochain, cela fera exactement cinq ans que Stephen Harper nous a annoncé qu’il écrivait un livre sur l’histoire du ho-ckey. L’écriture de ce livre semble être à ce point laborieuse qu’elle doit gruger tout le temps libre du premier ministre. On devine que c’est la VRAIE raison pour laquelle Stephen Harper ne répond jamais à Yann Martel. Autrement, comment expliquer que le premier ministre du Canada qui, en plus, était récemment en vacances prolongées du Parlement, n’ait pas pris la peine d’écrire trois lignes à un important écrivain de son pays, lauréat du prestigieux prix Booker, alors que de l’autre côté de la frontière, l’homme le plus puissant et le plus occupé du monde libre l’a fait? Si ce n’est pas une question de temps, alors je ne vois que deux raisons pour expliquer le silence épistolaire de Stephen Harper: l’arrogance et le manque de classe. Désolant.

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