The Arab World’s Loves the Apology to Gaddafi

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Le porte-parole du Département d’Etat américain avait ironisé à propos de l’appel libyen au djihad contre la Suisse. Il a fait volte-face pour des raisons économiques et politiques. Les médias arabes ont fortement répercuté la nouvelle.

Sur les sites internet des grandes chaînes de télévision arabes, Al-Jazira ou Al-Arabiya, les articles intitulés «les Etats-Unis s’excusent auprès de Kadhafi» font un carton. En Libye, le quotidien Al-fajr Al-Jadid relève que «la Libye remporte une victoire dans la bataille initiée par le porte-parole du Département d’Etat américain». Du côté de Tripoli, le Ministère libyen des affaires étrangères a annoncé mercredi qu’il «acceptait les excuses et les profonds regrets exprimés par le Département d’Etat».

Ce geste met un terme à la «dispute diplomatique» entre la Libye et les Etats-Unis. Mais à quel prix? Les Libyens ont tenté de tirer le profit maximal des propos tenus mardi par le porte-parole du Département d’Etat américain, Philip Crowley.

Ce dernier s’est excusé pour les déclarations qu’il avait faites quand le leader libyen Mouammar Kadhafi avait appelé au djihad (guerre sainte) contre la Confédération en raison de l’interdiction de la construction de minarets votée par les Suisses en novembre 2009. Le 26 février, le porte-parole de la diplomatie américaine ironisait: «J’ai vu cette information (ndlr: l’appel au djihad), et cela m’a rappelé cette journée de septembre, l’une des plus mémorables séances de l’Assemblée générale de l’ONU dont je me souvienne. […] Beaucoup de mots, beaucoup de papier volant un peu partout, et pas forcément beaucoup de sens.» Hier, Philip Crowley a corrigé le tir en précisant: «Nous demeurons fermement attachés à la relation américano-libyenne». Cette volte-face est intervenue après que l’ambassadeur libyen à Washington se fut empressé de clarifier le message de Kadhafi en précisant que le djihad n’avait pas un sens militaire, mais purement commercial.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur les excuses de Washington. Comment les Américains peuvent-ils s’excuser auprès d’un homme d’Etat, Kadhafi, qui a lancé un appel au djihad contre un Etat démocratique? Dans un premier temps, l’administration américaine a certes condamné, en termes plutôt feutrés, la déclaration incendiaire du leader libyen. Mais ce qui fut perçu comme un «soutien des Etats-Unis à la Suisse» a provoqué une riposte immédiate de Tripoli. Les compagnies pétrolières américaines ont été convoquées sur-le-champ par les autorités libyennes. Ces dernières ont menacé de donner la priorité aux sociétés chinoises et russes pour exploiter les différents champs pétroliers dont le pays regorge.

Les intérêts économiques américains en Libye expliquent en partie les excuses de Washington. Les majors américains Exxon Mobil, ConocoPhillips, Hess, Marathon et Occidental y ont investi des milliards de dollars dans des infrastructures. D’autres investissements américains ont été réalisés dans les domaines de la défense, des transports, de la santé ou encore de la construction. Le volume d’échanges commerciaux entre les Etats-Unis et la Libye est passé de 60 millions de dollars en 2004 à 4,5 milliards en 2009.

Malgré les frasques et l’imprévisibilité du leader libyen, Washington a un intérêt géopolitique à maintenir une bonne relation avec Tripoli. «Kadhafi a démantelé son programme nucléaire après l’invasion de l’Irak en 2003. Il a surtout apporté un soutien inconditionnel aux Etats-Unis pour traquer des terroristes en Afghanistan. Enfin, la Libye a joué un rôle très important au Darfour et au Tchad. Les Etats-Unis ont besoin de Kadhafi pour qu’un nouveau front ne s’ouvre pas en Afrique», analyse Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

Les excuses de Washington peuvent découler d’une autre préoccupation. Des vidéos ont circulé en masse dans le monde arabe montrant l’intervention télévisée ironique de Philip Crowley sur Kadhafi. La crainte? Que l’affaire mette les Etats-Unis dans une situation aussi difficile que celle du Danemark au moment de la polémique provoquée par les caricatures de Mahomet. Anthropologue des religions, Malek Chebel reconnaît qu’adopter davantage de fermeté envers Kadhafi, c’est aussi lui donner trop d’importance. «Mais on ne peut pas le laisser propager l’appel au djihad sans rien faire. On ne mesure d’ailleurs pas les dégâts qu’un tel appel peut avoir dans le monde musulman, mais aussi en Europe. C’est irresponsable.»

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