Not All Priests Are Predators

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Lorsque je séjourne aux Etats-Unis, c’est très bizarre, je ne rencontre pas d’enfants. Pas d’enfants dans les rues, jamais d’enfant seul. Toujours accompagné d’un adulte. L’enfant serait-il une espèce protégée ? Protégée de quoi ?

J’ai suivi là-bas une formation obligatoire pour apprendre à éviter toute situation à risque, autant dire tout rapport particulier avec un enfant. Ne jamais se trouver seul avec un mineur dans une pièce – laisser la porte ouverte – ou bien obtenir la présence d’un autre adulte. Il m’a fallu comprendre qu’ici les enfants sont une proie potentielle.

Car les prédateurs, c’est nous les adultes, les éducateurs, les bénévoles. Tous des obsédés. Tous présentent un risque potentiel de comportement abusif envers les enfants. Abus sexuels, gestes déplacés, usage d’autorité, paroles inadaptées qui peuvent constituer une agression pour l’enfant. Vous ne le saviez pas ? Cette formation est là justement pour vous avertir de tout ce qu’il faut éviter, tout ce pourquoi vous pourriez être poursuivi en justice.

Ce pays est complètement traumatisé par les abus d’enfants. Les scandales ont éclaté partout. C’est une souffrance pour tous. Mais je vous ai réservé le meilleur. Car le pire prédateur d’enfant, le danger avéré, c’est le prêtre ! Il m’a fallu quelque temps pour comprendre que je suis un criminel potentiel.

Ça m’a mis assez mal à l’aise. Il m’a fallu me convaincre – afin d’adopter les comportements adaptés – que toute situation dans laquelle je suis seul avec un mineur présente un fort potentiel de risque. J’ai donc appris. “Attention enfant.”

D’ordinaire, cet avertissement vise à protéger les enfants des risques potentiels : sortie d’école, descente de bus, zone de jeux. Mais j’ai appris que “Attention enfant” ça peut aussi signifier : attention, risque pour moi, l’adulte ; attention, surveille tous tes gestes. J’ai donc appris. Pour me protéger, j’ai appris à entrer dans la peau d’un prédateur – ou d’un délinquant sexuel repenti.

Si je suis chez des amis, je prends soin de ne jamais rester seul avec un enfant. Je m’applique à suivre les adultes partout, du séjour à la cuisine, du réfrigérateur à l’évier. Et s’il le faut, même aux toilettes. Si je téléphone à mes amis, et que l’un de leurs enfants prend l’appel, je raccroche aussitôt de crainte de… enfin on ne sait jamais !

Je rappelle jusqu’à entendre la voix de l’un des parents. Quand je rencontre un enfant, je fais un détour, de crainte que quelque chose dans mon attitude ne soit interprété comme menaçant ou abusif. L’accusation potentielle est partout.

J’ai fait des imprudences. J’ai parfois manqué de jugement. Heureusement sans conséquences. Il faut faire attention, des vies ont été ruinées par des accusations. En France aussi on a vu des prévenus se suicider sous le coup d’une action en justice fondée par une accusation… qui se révélait finalement mensongère.

La protection de l’enfant est une priorité. Une priorité mondiale. L’enfant est vulnérable, innocent. Il mérite la protection de la société. L’enfant c’est notre avenir, c’est celui en qui nous projetons nos rêves de réussite, c’est l’objet de tout notre amour. L’enfant, c’est notre ambition ressuscitée, c’est une vie renouvelée pour notre pureté fanée. L’enfant, c’est la rédemption faite chair, et dont nous pouvons prendre soin jour après jour. La protection de l’enfant est une priorité.

L’adulte au contraire c’est la perversion sournoise, qui fait bonne figure en maquillant ses fêlures. L’adulte, c’est le compromis avec l’impureté.

Il faut protéger l’enfant : cette conviction s’appuie en partie sur une immense insulte faite à l’adulte, sur une blessure inconsolable, celle de l’innocence perdue. Il y a là un refus de la maturité. Car oui, adultes, nous n’avons plus cette innocence enfantine. Fallait-il pour autant prêter à l’adulte tant d’intentions néfastes ? Fallait-il en faire un prédateur ?

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Antoine Carlioz est chercheur en cancérologie aux hôpitaux de Marseille et prêtre de la Communauté mission

de France.

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