Storm Clouds Looming between the United States and Israel

<--

Ce ne serait donc qu’une mauvaise passe. Ces tout derniers jours, Jérusalem et Washington échangent mots doux et propos apaisants. La relation israélo-américaine est ce qu’elle a toujours été, jure-t-on : suffisamment forte pour essuyer quelques tempêtes.

Les Etats-Unis viennent de porter en place publique un gros différend avec Israël. Ils s’opposent au projet du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de construire une série de logements dans la partie arabe de Jérusalem. Ils réclameraient un moratoire de quatre mois pour permettre une reprise du dialogue israélo-palestinien.

NOUVEAU : Le débrief pour consulter les informations majeures depuis votre dernière connexion

Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 1 mois offert

L’affaire a plombé l’ambiance lors de la visite en Israël du vice-président américain, Joseph Biden, début mars ; elle a gâché le séjour de “Bibi” Nétanyahou à Washington à la fin du mois. Aujourd’hui, le discours officiel se veut rassurant, de part et d’autre : un sérieux coup de froid, mais rien de définitif. Le différend n’aurait pas ébranlé une relation profonde, qui a survécu à pas mal de conflits.

On peut avoir une lecture différente de cette brouille. Et dire, au contraire, qu’elle n’a sans doute rien de passager. Elle est un moment-clé pour les deux pays. Elle peut se transformer en affrontement politique majeur. Elle met face à face deux hommes, que rien ne rapproche, et deux politiques, difficilement conciliables. Barack Obama veut l’apaisement avec le monde arabo-musulman ; cela passe par des progrès dans le dialogue israélo-palestinien. Et l’arrêt des implantations. Le chef du Likoud, quel que soit son pragmatisme, dirige un gouvernement de droite qui veut la poursuite des implantations. Il explosera à la moindre avancée dans la négociation avec les Palestiniens.

Un peu d’histoire. Comme la bande de Gaza et la Cisjordanie, la partie orientale de Jérusalem a été conquise durant les combats de la guerre israélo-arabe de juin 1967. Mais alors qu’Israël a laissé ouvert le statut des premiers, il a très vite “annexé” Jérusalem-Est. Les Etats-Unis n’ont jamais reconnu cette annexion, tout comme ils ont toujours dénoncé les constructions israéliennes en territoire palestinien : une politique du fait accompli qui met à mal la possibilité d’un règlement sérieux.

Israël entend que Jérusalem réunifiée soit sa capitale ; les Palestiniens revendiquent d’installer la leur dans la partie est de la ville.

Mais les protestations américaines n’étaient, jusqu’à ce jour, pas destinées à être autre chose que des paroles verbales. La preuve : plus de quarante ans après la guerre de 1967, 300 000 Israéliens résident en Cisjordanie et quelque 200 000 autres dans la partie orientale de Jérusalem. Washington a laissé faire. Il y a à cela une raison majeure : dans le partenariat noué avec Israël, le différend sur les territoires est resté marginal.

L’alliance que les deux pays concluent implicitement, à la fin des années 1960, est d’abord stratégique : durant la guerre froide, Israël offre aux Etats-Unis un point d’appui inestimable au Proche-Orient. L’Egypte, la Syrie, l’Irak ont longtemps été dans le camp de Moscou, et maintenu l’état de guerre avec Israël. Politiques, militaires, culturels, les liens entre Américains et Israéliens se resserrent au fil des ans. La guerre froide enterrée, la lutte contre l’islamisme leur fournit un nouveau carburant.

Seulement, le paysage stratégique change. Il rapproche de la collision les politiques d’Obama et de Nétanyahou. L’Américain a une vision globale du Proche-Orient. Il veut une coalition arabe pour enrayer les ambitions nucléaires de l’Iran. L’impérialisme de Téhéran donne des cauchemars à la plupart des dirigeants arabes. Ils colleront d’autant plus aux Etats-Unis que ceux-ci feront avancer les revendications palestiniennes. Et notamment celle-là : pas d’implantations en Cisjordanie, pas de faits accomplis à Jérusalem-Est.

L’Amérique est engagée dans le monde arabo-musulman, rappelait le général David Petraeus le 17 mars. Chef du commandement central, il est chargé de l’Afghanistan et de l’Irak. A la commission des forces armées du Sénat, il dit son inquiétude : sur ces théâtres-là, l’Amérique est assimilée à Israël et pâtit du comportement de son allié – à tort ou à raison. Le message s’adresse à “Bibi” : relayés par la machine médiatique globale, vos projets à Jérusalem concernent nos soldats sur le terrain…

Rarement pareille divergence d’intérêts stratégiques entre les deux alliés aura été aussi ouvertement mise sur la table à Washington. On se rassure à Jérusalem en invoquant un autre aspect de la relation israélo-américaine. Elle n’est pas que stratégique, loin de là. Elle est affective, sentimentale. Les Américains aiment Israël. Plus que les Européens, ils éprouvent une sympathie naturelle pour ce qu’Israël représente. Pas besoin d’un lobby – juif ou autre – pour cela ; c’est plus complexe et plus profond. Il faut chercher dans les replis de l’âme des deux pays.

Est-ce parce que l’Etat hébreu est la seule démocratie au Proche-Orient ? Parce que juifs et protestants ont la même familiarité avec le texte biblique ? Parce qu’un certain esprit pionnier touche une corde sensible en Amérique ? Tout cela à la fois ? Fin mars, en pleine brouille sur Jérusalem, le dernier sondage Gallup citait un taux de popularité record pour Israël aux Etats-Unis : 63 %.

Mais ce chiffre masque une évolution dans cette histoire d’amour partagé. Et qui pourrait la malmener. Les élites américaines prennent leurs distances avec le gouvernement israélien. Le réservoir de sympathie inconditionnelle se trouve aujourd’hui non plus dans le camp démocrate, comme ce fut longtemps le cas, mais chez les républicains. La vague des protestants évangéliques fournit les bataillons les plus enthousiastes. Pour les plus illuminés d’entre eux, les implantations en Cisjordanie et à Jérusalem relèvent de l’injonction biblique. Comme base de soutien moral et politique pour Israël, on peut rêver plus solide.

Nétanyahou était revenu torse bombé de sa première visite à l’administration Obama : il croyait l’avoir fait caler sur les implantations. Fin mars, il est rentré l’air sombre. Comme s’il entrevoyait de gros nuages à l’horizon.

About this publication