Nuclear Deterrence According to Obama

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La dissuasion selon Obama, par Bernard Lavarini

Pour la première fois au monde, le 11 février 2010, les Etats-Unis, avec une forteresse volante, l’AirBorne Laser (ABL), ont détruit en vol, à une altitude entre 12 000 mètres et 20 000 mètres, un missile qui simulait un vol balistique. Une ère nouvelle commence pour la stratégie militaire !

Depuis 1960, les militaires en rêvaient. Cinquante ans après, les Américains l’ont fait. Au prix de plusieurs milliards de dollars, les savants américains ont réussi à résoudre l’un des défis techniques les plus difficiles, en tous les cas, plus complexes que celui de l’arme atomique. Vouloir neutraliser une balle de fusil avec une autre balle de fusil, ce n’est pas facile à faire, mais vouloir abattre, à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par seconde), un missile qui vole déjà à près de 6 kilomètres par seconde, cela dépasse l’entendement. Et pourtant…

En quoi consistait le défi. Une fois l’alerte donnée à l’avion par les satellites du Defense Support Program (DSP), qui sont chargés, en permanence, sur toute la surface du globe, de la surveillance stratégique et de l’alerte avancée, il s’agissait, en quelques secondes, grâce à six caméras infrarouge et à deux illuminateurs laser, à partir de l’avion qui volait à 900 kilomètres à l’heure, de localiser, d’identifier, de poursuivre et de choisir la partie la plus fragile du missile, qui volait à plus de 20 000 kilomètres à l’heure, pour le détruire par un tir laser et confirmer sa destruction !

Toutes ces fonctions sont assurées par une tourelle qui contrôle et pointe le faisceau de destruction, émis par un laser chimique à iode embarqué sur l’avion. Elle comprend un télescope de 1,5 mètre de diamètre, qui permet d’identifier la cible et de focaliser sur elle, au mieux, le faisceau laser de haute énergie grâce à l’emploi d’optiques adaptatives, qui corrigent notamment les effets des turbulences atmosphériques.

La tourelle, logée dans le nez de l’avion, autorise le tir vers l’avant, sur les côtés et partiellement sur l’arrière contre des missiles balistiques jusqu’à 500 kilomètres de distance, mais aussi vers le haut pour neutraliser les satellites à près de 36 000 kilomètres, et vers le bas contre notamment les missiles de croisière… Bref, l’extraordinaire prouesse technique réalisée par les Etats-Unis est équivalente à vouloir réussir, au basket-ball, un panier situé à 800 kilomètres pour un joueur qui se déplacerait à plusieurs kilomètres par seconde !

Les ABL s’intégreront dans l’architecture du bouclier antimissile, au niveau de la première couche pour contrer les missiles en cours de propulsion. Vers 2025, lorsque les Américains auront progressé sur les systèmes à miroir relais déployable, la forteresse laser, tout en volant au-dessus des Etats-Unis, pourra engager jusqu’à une salve de 5 à 10 missiles balistiques au-dessus du pays lanceur ! Le coût de possession d’une escadrille de forteresses laser devrait être équivalent au porte-avions Charles-de-Gaulle.

Si un ABL vaut aussi cher qu’un missile balistique, son coût d’emploi marginal et sa capacité à délivrer instantanément ou presque une quarantaine de tirs lasers rendront difficile la saturation du bouclier par une attaque massive de missiles, car il faudrait que l’agresseur engage une dépense colossale pour la réaliser. C’est l’histoire de la mitrailleuse qui supplanta le fusil à un coup.

Ainsi, les Américains, avec le président Obama, poursuivent le renforcement de leur capacité dissuasive face à un “autre”, doté d’armes nucléaires, qui accepterait de prendre le risque d’encaisser des représailles nucléaires parce qu’il n’attacherait pas le même prix qu’eux à la vie. Ils continuent de se doter, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, d’une “grande muraille” nucléaire, en conjuguant l’emploi virtuel d’un glaive nucléaire et d’un bouclier antimissile multicouche pour profiter, selon les cas, soit d’une stratégie persuasive, soit d’une nouvelle stratégie d’interdiction dissuasive qui laisse à la partie adverse l’initiative de l’agression. Le “maniement” de ces deux instruments stratégiques accroîtrait considérablement le degré d’incertitude chez l’adversaire et devrait le priver de ses marges de liberté d’action.

En effet, avec le bouclier, le perturbateur s’abstiendrait d’agir faute de pouvoir l’emporter (dissuasion par empêchement) et, en plus, avec le glaive nucléaire, il spéculerait sur le risque prohibitif d’une riposte adverse (dissuasion par représailles). Ainsi, grâce à leurs vertus spécifiques et inégalées, ces nouveaux “remparts” renouvelleront pour longtemps le moyen privilégié, parce que le plus efficace, pour défendre les intérêts vitaux.

Quant à cette affaire d’aller vers un monde sans armes nucléaires, le président Obama, le 5 avril 2009, à Prague, a-t-il exprimé une fausse bonne idée ? Certes, les négociations sur le désarmement semblent aboutir puisque Barack Obama et son homologue russe, Dmitri Medvedev, sont tombés d’accord pour signer le 8 avril 2010, à Prague, le nouveau traité Start. Et l’examen, en mai 2010, à New York, du traité de non-prolifération devrait conclure la série des négociations.

Au-delà du fait que ces points, très importants, devront être ratifiés, s’exprimer ainsi, c’est aussi faire de la rhétorique pour préparer les opinions publiques à une éventuelle intervention des Etats-Unis contre les sites nucléaires iraniens. En effet, tout en modernisant leurs arsenaux nucléaires, les Etats-Unis et la Russie vont s’engager à réduire leur nombre d’ogives nucléaires opérationnelles jusqu’à 1 550 chacun.

Les Etats-Unis pourraient même retirer les quelque 200 têtes nucléaires présentes en Europe, comme le demandent certains pays européens. Les Américains démontreront ainsi, aux yeux des opinions publiques, leur volonté à désarmer, ce qui pourrait les amener à demander, y compris d’une manière coercitive, aux proliférants éventuels de cesser toute tentative en la matière. Ne soyons pas dupes ! Arguer, comme le font notamment les anciens premiers ministres Alain Juppé et Michel Rocard, qu’il faudrait “fermer” le “club atomique” relève d’une myopie historique, voire d’un irénisme compréhensible.

En reprenant le mot de Bonaparte, l’ambassadeur François de Rose, comme d’ailleurs le général Pierre Marie Gallois, considèrent que cette décision remettrait le monde dans une situation où “Dieu est du côté des gros bataillons”. Ce serait le retour des grandes guerres, ce que les pacifistes détestent à juste titre. Et, comme le dit aussi le général Lucien Poirier, notre Clausewitz :

“On ne saurait évacuer le fait nucléaire au motif qu’a disparu l’une des raisons ayant justifié, hier, sa prééminence dans la pratique des acteurs dotés d’un armement aux vertus aussi puissantes. Que ce fait soit un facteur de l’autonomie de décision et de stabilité dans son espace d’influence, c’est là son attribut essentiel et permanent, trop indépendant de l’état instantané du monde pour que la disparition conjoncturelle d’un ennemi désigné induise les Etats nantis à l’éliminer de leurs panoplies. Outre qu’il leur confère un statut politique d’exception, comme en témoignent les efforts consentis par d’autres pour forcer la porte de leur club, la probabilité n’est pas nulle qu’un nouvel ennemi désigné apparaisse dans l’avenir lointain et suscite de nouvelles stratégies d’interdiction dissuasive effectives.”

Bref, si la paix naissait de la peur, Raymond Aron considérait que ce ne serait pas la première, ni la pire des ruses de la raison. Ainsi, les Etats-Unis n’oublient pas que l’orgueil, l’envie et la cupidité sont toujours les trois étincelles qui enflamment le coeur de l’homme, comme le rappelle Dante dans L’Enfer. C’est pourquoi ils poursuivent leurs programmes stratégiques pour tenter de maintenir la parité des vulnérabilités face à la pression croissante des énormes masses politiques et spirituelles de l’Eurasie.

Car, bien entendu, les Américains, eux, dans leur Nuclear Posture Review, se souviennent de la règle fondamentale selon laquelle les espaces nationaux des antagonistes doivent demeurer également vulnérables pour assurer la stabilité de la dissuasion mutuelle. Dans la course aux armements engagée avec la Chine, le tir réussi du 11 février 2010 est une réponse aux démonstrations chinoises antisatellite du 11 février 2007 et antibalistique exo-atmosphérique du 11 janvier 2010 ! Voilà pourquoi, économie oblige, les Etats-Unis suspendent l’implantation de 10 missiles Ground-Based Interceptors (GBI), en Pologne, mais envisagent des intercepteurs Standard Missile 3 améliorés (SM3), moins chers mais de portée plus faible, en Roumanie.

M. Obama déplace ses pièces sur l’échiquier stratégique en se différenciant de M. Bush, mais n’abandonne pas la réalisation du bouclier. Bref, avec les 30 GBI installés aux Etats-Unis, les 250 SM3 en cours d’installation sur 15 destroyers Aegis, auxquels se joindront, d’ici à 2015, 23 autres navires japonais, australiens, sud-coréens, espagnols et norvégiens, sans compter les systèmes du Terminal Defense Segment, prévus par ailleurs, et, un peu plus tard, les ABL, le bouclier antimissiles, ce rêve né du cauchemar nucléaire, sort peu à peu du royaume des chimères !

Et nous, que faisons-nous pour renforcer notre capacité dissuasive ? Certains pensent que la France n’a pas besoin d’un bouclier parce qu’elle aurait, avec son glaive nucléaire, la possibilité, en représailles, de détruire les centres de pouvoir politique, économique et militaire d’un agresseur qui aurait pris la décision d’effectuer une frappe nucléaire d’avertissement d’un million de morts.

Non seulement avec un bouclier, elle pourrait parer cette frappe, mais le président n’aurait pas, non plus, à choisir entre capituler ou prendre le risque d’un anéantissement total. Car un agresseur, comme la Chine, de plus d’un milliard d’habitants, s’il devait en arriver là dans le cadre d’un conflit mondial, connaissant la doctrine française, aurait pris, au préalable, les dispositions pour assurer sa survie politique en déménageant les lieux de pouvoir dans les profondeurs du pays.

Il pourrait, alors, être en situation de pouvoir achever son oeuvre de destruction de la France, à coups de “massue thermonucléaire” gardée, en réserve, à l’abri dans ses sous-marins. Ne nous laissons pas illusionner par le jeu du conformisme, des situations acquises et des influences académiques.

Mais oui, il conviendrait, avec la Grande-Bretagne, de rechercher la meilleure synergie possible pour notre glaive nucléaire, et de s’entendre avec l’Allemagne pour reprendre les travaux sur les armes lasers stratégiques, car ni l’Allemagne ni la France n’ont d’avenir l’une sans l’autre. Ensemble, nous pourrions y associer, progressivement, d’autres partenaires européens qui auraient le même intérêt que nous de réaliser un bouclier antimissile multicouche européen.

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