En Louisiane, un horrible sentiment de déjà-vu
La marée noire intervient alors que la côte du golfe du Mexique se remet à peine de l’ouragan Katrina. La population est inquiète et démoralisée.
Avec la marée noire due à l’accident de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, les habitants de la côte du golfe du Mexique ont l’impression de vivre un deuxième cauchemar, moins de cinq ans après Katrina. Pour la plupart, ils sortent à peine des difficultés liées à l’ouragan dévastateur.
À La Nouvelle-Orléans, Cyril Dumaine met la dernière main aux travaux de sa maison qui était restée les pieds dans l’eau pendant plusieurs semaines. La menace d’un nouveau désastre économique et naturel est bien réelle. « Nous n’en avons pas encore fini avec Katrina et la marée noire risque de nous faire faire marche arrière », déplorait-il ce week-end. « Tout cela semble bien trop familier », se désole un autre résident, Bart Everson.
Alors que les images des satellites montrent que la nappe polluée se répand en mer à une vitesse plus importante qu’initialement prévu, la population locale ne sait plus très bien à quel saint se vouer. « Nous sommes tenus au courant de ce qui se passe, mais peut-on faire confiance à cette information ? Sur la quantité de pétrole écoulée, par exemple. Elle a d’abord été estimée à 1 000 barils par jour (1), puis à 5 000. Si ça se trouve, c’est 25 000 barils par jour. Il est très difficile de savoir ce qu’on peut croire », se lamente Bart Everson.http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif
Situation sensible économiquement et politiquement
http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gifLa compagnie pétrolière British Petroleum est visée. « Tout ça, c’est de leur faute », poursuit Cyril Dumaine. Celui-ci a lu dans la presse que les normes de sécurité en cas d’accident sur les plates-formes pétrolières étaient plus sévères en Norvège et au Brésil, requérant notamment un système de fermeture télécommandée des valves. « S’il y avait eu ce système ici, ça ne serait pas arrivé. Ça coûte 500 000 dollars (375 000 €) de l’installer. Qu’est-ce que cela représente pour une compagnie comme BP ? »
La situation est sensible économiquement et politiquement, explique Karen Gadbois, journaliste louisianaise, car la région dépend autant de son industrie de la pêche que de celle du pétrole. « Il n’est pas rare que les pêcheurs travaillent aussi sur les plates-formes pétrolières. Beaucoup de gens sont employés dans les raffineries. Nous sommes esclaves des compagnies pétrolières en quelque sorte, donc nous n’allons pas trop les critiquer. Et le gouvernement n’osera rien faire contre elles. »
Karen Gadbois compare les efforts de BP pour contenir la marée noire à « une farce ». « La compagnie n’a pas pris les devants quand l’accident s’est produit il y a plus de dix jours. Le pétrole arrive inexorablement sur nos côtes. Les barrières de protection gonflables ne servent à rien, sinon à faire de belles images pour les médias. »http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif
Comme il y a cinq ans…
http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gifIronie du sort, la compagnie pétrolière Shell est cette année le sponsor principal de la Jazz Fest, le grand festival de jazz de La Nouvelle-Orléans, qui se terminait ce week-end. « Je n’ai pas pu y aller, je suis écœurée par ce qui se passe », affirme encore la journaliste. La population, ajoute-t-elle, est inquiète et surtout démoralisée. Les routes à nouveau envahies de camions militaires ne font que renforcer ce mauvais sentiment de déjà-vu.
Les milliers de pêcheurs sont les premiers concernés par la catastrophe écologique qui se prépare. Alors que la saison de la pêche qui vient de débuter a été suspendue jusqu’à nouvel ordre, ils ont dû se résoudre à frapper à la porte de British Petroleum pour du travail. Depuis vendredi, ces hommes de la mer font la queue devant les bureaux de volontaires pour aller nettoyer les dégâts. « C’est soit l’industrie des fruits de mer, soit celle du pétrole. Il n’y a pas le choix ici. Donc, j’imagine que je dois passer du premier au second aujourd’hui », expliquait vendredi au New York Times Bernel Prout, un pêcheur de 55 ans originaire de Venice, à l’est de La Nouvelle-Orléans.
La Louisiane est le principal producteur d’huîtres, de crevettes, d’écrevisses et de crabes des États-Unis, soit le tiers de toute la production de fruits de mer du pays. Alors que BP a l’obligation légale de payer la facture de cette marée noire, la compagnie a ouvert un programme sous le nom optimiste de « Vaisseau d’opportunités » pour recruter des locaux. « Nous ne demandons pas à la communauté de faire ce travail gratuitement. BP a l’intention de les rémunérer », a tenu à préciser David Kinnaird, le directeur de ce programme à Venice. Cependant, rien n’avait encore été décidé ce week-end : combien de personnes seraient nécessaires à l’effort de nettoyage, combien elles seraient payées et à partir de quand. http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif
Obama sur place
* Les dédommagements pour pertes de revenus n’avaient pas non plus été discutés. « Nous devons payer nos factures, s’inquiète Acy Cooper, président de l’association locale des pêcheurs. Je me fiche de savoir si c’est le gouvernement fédéral ou BP, mais quelqu’un doit prendre les choses en main et compenser le manque à gagner. »
Alors que le président Obama se rendait dimanche 2 mai dans le golfe du Mexique, son administration tente de se montrer plus réactive que celle de son prédécesseur durant et après le passage de l’ouragan Katrina. Plus de 2 000 hommes et femmes appartenant à l’armée et aux gardes-côtes ont été dépêchés sur place, et avec eux plus de 75 embarcations. Barrières flottantes et dispersants sont utilisés depuis plusieurs jours pour lutter contre le pétrole.
« Le président veut être très pro-actif. Il ne veut pas attendre les derniers développements mais les anticiper », déclarait samedi John Brennan, représentant du département de la sécurité intérieure, un ministère qui avait été très critiqué pour sa gestion de Katrina. Cyril Dumaine, à La Nouvelle-Orléans, reconnaît que le gouvernement a pris les devants, mais il ne se fait pas d’illusion. La gestion de cette nouvelle crise prendra encore des années.
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