Barack Obama, daddy de la nation
Les Américains étudient avec passion leurs présidents. Ils les numérotent (Obama est le 44e) ; les passent au microscope, les classent, du meilleur au moins bon (de l’avis général, le pire a été James Buchanan, le prédécesseur de Lincoln, qui se trouve aussi avoir été l’unique célibataire). Il est vrai que l’Amérique a inventé la fonction, pour ainsi dire. Avant George Washington, le monde moderne n’avait connu ni République ni président.
Le héros de la guerre d’indépendance, qui contrairement à ses cofondateurs n’avait pas fait beaucoup d’études, a dû se débrouiller sans job description. Le Sénat a débattu des semaines sur le titre qui lui serait donné. John Adams, qui avait des visées sur le poste, penchait pour “Sa haute Puissance le Président des Etats-Unis et Protecteur de leurs libertés”. James Madison, futur numéro 4, a arrêté les frais et fait adopter la formule “Mister President”. Qui est restée.
Depuis, le président américain est ce mélange de demi-dieu et de serviteur du peuple : un “citoyen chargé d’administrer le gouvernement exécutif des Etats-Unis”, comme l’a écrit Washington dans son discours d’adieu. Aussitôt élu, il ne s’appartient plus. La fanfare militaire conclut chacune de ses apparitions d’une musique de kermesse (Hail to the Chief). La presse a arraché le droit de le suivre dès qu’il sort de la Maison Blanche.
Autant que les décisions politiques, ce qui passionne vraiment les commentateurs, c’est l’homme. Comment réagit-il ? A-t-il les nerfs ? La fibre ? Où s’inscrit-il dans la continuité historique. Est-il plus Roosevelt que Lincoln ? Carter ? La marée noire du golfe du Mexique a lancé une grande discussion sur l’homme Obama. Le président a tout de suite compris la portée du désastre, mais il est critiqué pour être resté en retrait, pour ne pas avoir manifesté plus de passion, d’émotion.
D’agitation. “Les gens veulent qu’il fasse les gestes de théâtre qui conviennent afin qu’ils puissent voir leurs propres émotions sur la scène publique, explique David Brooks dans sa chronique du New York Times. Ils veulent le rendre responsable de choses sur lesquelles ils savent qu’il n’a pas de contrôle.”
Si la campagne est une affaire de mots, la présidence est une question d’image. Avec retard, le président a tenté de corriger la perception. Il est retourné en Louisiane, et il a fait les gestes. Il s’est accroupi sur le sable de Gran Isle, pour observer quelques pastilles de goudron (mais comme à sa première visite, la marée noire dans sa version gluante n’était pas au rendez-vous).
Il a tenté de dire des mots personnels. Evoqué Malia, sa fille, qui avait passé son nez à la porte de la salle de bains, alors qu’il se rasait : “Alors, tu as bouché le trou, daddy ?” L’image du rasoir était assez peu “présidentielle”. L’anecdote est tombée à plat, même si Tom Friedman, du New York Times, a proposé d’inverser les rôles : “Malia for president”….
A Gran Isle, la population a été déçue qu’il ne s’arrête même pas pour serrer les mains. “Ici, les gens sont émotifs. S’il veut les toucher, il faut qu’il montre de l’émotion”, a dit Bennie Ford, une résidente de l’île. Même incompréhension sous la plume de la chroniqueuse du New York Times, Maureen Dowd : “Une nouvelle fois, il a sciemment et inexplicablement résisté à remplir une tache qui fait partie de son travail : être un prisme dans les moments de peur et de fierté. Refléter le sentiment des Américains, ce qui leur montre qu’il les comprend.”
Bill Clinton était réputé pour sa faculté d’empathie. Il en jouait, au point d’avoir été surnommé le président “feel your pain” (qui “ressent votre douleur”). De toute évidence, Barack Obama n’est pas Clinton. “Il méprise l’aspect paternel de la présidence”, déplore la journaliste.
Moins de deux ans après l’élection, plusieurs livres ont déjà paru, qui tentent de “peler l’oignon qu’est Obama”, comme l’écrit la journaliste Gwen Ifill, et une demi-douzaine d’autres sont attendus. Dans The Promise. President Obama, Year One (Simon & Schuster), Jonathan Alter, journaliste à Newsweek, décrit un homme qui aime parier mais “prudemment”. Un “professeur en chef” méthodique, peu sentimental et sûr de lui. Au contraire de George Bush, qui jugeait avec ses “tripes”, Obama délègue mais contrôle tout. Et il n’hésite pas à décider contre tous ses conseillers, comme sur la réforme de la santé.
En public, Barack Obama a souvent l’air un peu en dehors, éternel outsider, comme l’écrivain qu’il est resté devant son sujet. S’il est difficile de lui reprocher de ne pas vouloir assumer la fonction symbolique paternelle, on peut regretter qu’il n’ait pas insufflé de grande vision historique à son mandat, lui qui avait fait de “l’union plus parfaite” un horizon “auquel on peut croire”. A un moment de remise en question du fonctionnement des institutions et du rôle du gouvernement fédéral, la gauche laisse le monopole de l’histoire à la mouvance ultraconservatrice des “Tea Parties”.
Côté réserve, en revanche, le premier président noir est dans la lignée. George Washington, qui avait perdu son père à l’âge de 11 ans, ne laissait rien paraître. Ses officiers ont raconté qu’il se gardait même de rire en public.
Corine Lesnes
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