La réforme de la régulation financière aux Etats-Unis va-t-elle semer la zizanie entre les agences de notation ? Sur le point d’être définitivement adopté par le Congrès américain, le texte autorise les investisseurs à attaquer en justice les agences qui les auraient induits en erreur en faisant mal leur travail, “sciemment ou par négligence”.
Un coup de semonce pour ces organismes, sur la sellette depuis la crise financière ? Sans doute. Mais loin de faire cause commune, Standard & Poor’s (S & P) a jugé que la nouvelle législation mettait sous pression la qualité de crédit de… sa concurrente et néanmoins consoeur Moody’s. Depuis le 29 juin, sa note de crédit à court terme A – 1, la deuxième meilleure sur l’échelle de S & P, est placée sous surveillance avec “implication négative”. Autrement dit, ce “rating” a plus de 50 % de chances d’être dégradé dans les prochaines semaines.
Selon S & P, l’entrée en application de cette loi, qui permet des poursuites en cas de notation frauduleuse, risque d’entraîner “des frais judiciaires accrus” et “une moins bonne rentabilité” pour son homologue. En outre, une fois le texte voté par le Sénat, les investisseurs pourraient être incités à recourir moins fréquemment aux ratings des agences. Car la réforme supprime les références aux notations dans la réglementation. Encore un mauvais point pour Moody’s… mais aussi pour Standard & Poor’s ainsi que Fitch, la dernière de ce trio qui concentre plus de 90 % du marché.
“C’est assez comique, car S & P est concernée par à peu près tous les facteurs de risque qu’elle mentionne comme cause d’une possible dégradation”, s’amuse Nicolas Véron, du centre d’analyse économique Bruegel. “En un sens, d’ailleurs, on peut saluer qu’elle n’ait pas éludé sa responsabilité d’agence de notation sur ce terrain délicat”, ajoute-t-il.
Standard & Poor’s tend-elle donc le bâton pour se faire battre ? Oui et non. L’agence américaine, détenue par le groupe McGrawHill, pourra faire valoir qu’elle est plus diversifiée. Outre son métier historique, elle est connue pour son activité de recherche sur les actions. Tandis que la seule notation représente 90 % du chiffre d’affaires de sa concurrente Moody’s.
Cette dernière s’est retrouvée mise sur le gril ces dernières semaines. Début juin, d’anciens salariés ont été auditionnés par la commission d’enquête du Congrès sur la crise financière. Ils ont décrit une atmosphère de pression régnant sur les analystes pour attribuer des notes favorables à des produits financiers risqués afin d’assurer la signature de contrats. De quoi alimenter le reproche de conflit d’intérêt adressé aux agences, payées par les émetteurs qu’elles doivent noter.
Censeurs des entreprises et des Etats, ces sociétés connaissent à leur tour la sanction pour le rôle qu’elles ont joué dans la crise des subprimes. Incapables de déceler les risques de ces crédits immobiliers explosifs, elles ont finalement aggravé la tornade financière en dégradant brutalement les notes des banques. Elles ont aussi été au coeur de la polémique dans la crise de la zone euro. Accusées d’avoir semé la pagaille sur les marchés en abaissant sévèrement les notes de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal.
La refonte de la régulation aux Etats-Unis signe la fin d’un âge d’or pour ces agences qui profitent encore d’une extrême rentabilité avec un bénéfice représentant entre le quart et le tiers de leur chiffre d’affaires. Pour redorer leur blason, il leur faudra défendre leur actif le plus précieux : la crédibilité. Et quoi de plus convaincant que de savoir s’appliquer entre soi les “punitions” infligées aux autres…
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