To Russia With (Lots of) Love

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Cette histoire me botte toujours. Les deux avions côte à côte sur le tarmac de l’aéroport de Vienne, L’un est Russe, bardé, en toute discretion, d’inscriptions en cyrillique, contenant quatre espions à la solde des Etats-Unis, emprisonnés pendant des années ; A côté de lui s’immobilise bientôt le charter de Vision Airlines (on n’allait tout de même pas les embarquer sur AirForce One) affrété par les Américains pour dix agents en « deep cover », eux même expédiés via l’aéroport La Guardia de New York dès la fin de leur brève comparution au tribunal fédéral de Manhattan.

Et puis commence l’échange ; comme par hasard visible et dûment filmé par des téléobjectifs tremblotants. C’était le scénario parfait, servi par une mise en scène exemplaire. Il en dit long sur le désir des deux pays de ne pas laisser cette regrettable mais cocasse affaire pourrir leur embellie diplomatique.

Si les Etats-Unis avaient gardé les détenus plus longtemps, quitte à les échanger secretement plus tard, ces espions auraient monopolisé les média et assurément provoqué un contentieux sans commune mesure avec leur valeur réelle. Au lieu de cela, le « SWAP », l’échange rapide contente tout le monde et permet d’abord aux Russes de sauver la face.

En choisissant Vienne, haut lieu des contacts occultes entre les deux blocs jusqu’à la chute de l’Union Soviètique, l’Amérique a, volontairement ou non, ravivé les mythologies, rendu hommage à la puissance passée de l’URSS. De plus, la requête de Washington de libérer quatre de ses agents (l’un d’entre eux clame toujours son innocence) ouvertement reconnus comme tels, a une vertu déculpabilisante pour les Russes. Elle veut dire : « Nous non plus, côté CIA, nous ne sommes pas des anges ».

De leur côté, les Russes, les fautifs du moment, montrent leur contrition en laissant dire qu’ils perdent au change. Ils rendent de gros poissons (grillés et au frigo depuis de longues années), pour récupérer des nullards ou des taupes folkloriques. Le New York Post aurait presque demandé que l’on garde la jolie Anna Chapman sous son titre « Bye Spy ! Anna flies back to Russia with love ». Et la pulpeuse espionne a eu droit à l’attention de Jay Leno vendredi soir. « Nos espions sont des canons comme cela ? » a t-il demandé à son invité, le Vice-Président Joe Biden. « Ce n’est pas moi qui ai eu l’idée de la renvoyer » a rétorqué le numéro deux du ticket démocrate.

Rigolo. Mais la réalité est peut-être plus prosaïque. Anna, réputée inoffensive, a pourtant passé plusieurs jours dans une cellule de haute sécurité du dépôt fédéral de Brooklyn. Sans le moindre contact avec l’extérieur, la moindre information, avec pour seule visite celle d’un avocat commis d’office, bien entendu mis sur écoute. On ne saura pas avant des années quelles ont été les activités réelles des membres de ce réseau, mis sous surveillance depuis dix ans. Peut-être ont-ils fait plus de dégâts qu’on ne le croit.

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