On peut faire confiance aux Américains, fanas de Law and Order et de Judge Judy, pour saisir les arcanes des procédures judiciaires, même Suisses. La presse explique maintenant que la décision de relâcher Polanski résulte d’une incapacité à comprendre si le réalisateur avait ou non déjà purgé la totalité de sa peine en Californie lorsque, apprenant soudain qu’il risquait une nouvelle sentence, peut-être inique, il a décidé de filer. Les Américains peuvent comprendre toutes ces arguties, d’autant plus qu’eux-mêmes avaient relâché un OJ Simpson, ostensiblement coupable, après un numéro de jonglage invraisemblable de ses avocats.
De plus, contrairement à ce qui a été dit par l’entourage de Polanski, le climat en Californie ne se prêtait pas au lynchage du réalisateur. Oui, il y avait quelques talk shows radios plutôt acerbes contre lui lorsque je suis passé à Los Angeles quelque temps après son arrestation à Zürich, mais rien qui laisse attendre un carnage ou une opinion réellement biaisée. Un blog du Philadelphia Enquirer s’offusque même de la mansuétude ambiante.
Polanski n’est plus, depuis longtemps, et c’est sans doute un drame pour le cinéma, un monument aux Etats-Unis. C’est un personnage vaguement connu qui ne focalise pas vraiment les polémiques. On n’oubliera pas non plus les appels répétés de sa victime de l’époque à l’abandon des poursuites. Quant à ses « ennemis », le district Attorney de Los Angeles, Steve Cooley, et le juge saisi de l’affaire, Peter Espinoza, ils ne reflètent pas, dans la réalité californienne, le cliché de Ayatollas justiciers assoiffés de son sang. Les associations de défense des droits de l’homme, les avocats, leur accordent plutôt un satisfecit. Ils auraient gardé la tête froide, et je reste persuadé que Polanski serait sorti libre de l’audience, avec un sursis ou une condamnation au temps déjà purgé en prison.
Ce qui choque ici, depuis longtemps, moins dans la presse que dans les conversations avec monsieur tout le monde, est très simple : Polanski n’a jamais vraiment, après sa fuite, tourné le regard vers l’opinion américaine pour confronter l’histoire. Ses rares propos sur ce détournement de mineur, en fait classique, ne laissaient entrevoir aucune gène, aucun scrupule : « Everybody wants to fuck young women » disait-il, une fois installé à Paris.
D’ici, les propos de certains de ses alliés, qui considéraient dans un documentaire sur l’affaire (je paraphrase de mémoire) que « cette jeune fille n’a pas vraiment perdu son honneur », car elle n’était plus vierge, constituent un non sens moralement incompréhensible.
Quand bien même elle aurait été une saute au paf insatiable, ce qu’elle n’était pas, elle n’avait que 13 ans. Et dans les pays de droit, le consentement même enthousiaste d’une mineure de cet âge est nul et la responsabilité de l’adulte, totale. C’est l’essence de la notion de détournement de mineur.
Ceci dit, on trouve ici des voix qui saluent la libération de Polanski, et reconnaissent l’extraordinaire chaos judiciaire qui entourait l’affaire à l’époque. Ces mêmes éditorialistes ne peuvent pourtant admettre que l’entourage du réalisateur ait fondé sa défense sur son seul talent cinématographique. La petite phrase de Bernard Kouchner (“Roman Polanski va pouvoir se consacrer à ses projets artistiques”) a été publiée sans commentaire par le New York TImes. “Ils pensent à ses films. Ils pourraient penser aussi à leur propres filles” écrit Richard Cohen dans le Washington Post, tout en saluant la décision des Suisses.
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