In Obama’s Hands, America Far from Its Caricatures

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Utopia, Arab, Liberal, Pontiac, Winner, Aurora: autant de petites villes américaines perdues au fin fond d’Etats eux-mêmes déjà loin de tout. Le corrrespondant du Temps aux Etats-Unis, Luis Lema, est allé à la rencontre des habitants de cette Amérique profonde si mal connue et si souvent méjugée, et lui consacre une série de six reportages. Une plongée pour prendre le pouls de l’Amérique alors que Barack Obama approche la moitié de son mandat.

Passer le doigt sur une carte de l’immense territoire américain, c’est s’exposer à la frustration. Des centaines de villes et de petits villages aux noms évocateurs, qui semblent respirer l’histoire d’un pays tout entier et l’authenticité des origines, et dans lesquels on ne mettra jamais les pieds.

Le Temps a choisi une demi-douzaine de ces lieux, presque au hasard, mais pas tout à fait: Utopia, Arab, Liberal (généreux), Pontiac, Winner (gagnant), Aurora. Autant de small towns perdues au fin fond d’Etats qui, eux-mêmes, paraissent déjà loin de tout: le Texas, l’Alabama, le Nebraska, le Dakota du Sud…

Que nous disent ces villes de l’état d’esprit réel de l’Amérique? Tout, ou presque. On y découvre les réflexes claniques propres aux villages, la peur de la nouveauté et de l’étranger, mais aussi la part de rêve qui a accompagné la conquête de l’Ouest et la méfiance viscérale qui en a découlé face à tout ce qui peut s’apparenter à un pouvoir central et en particulier face à l’emprise de Washington.

Pour la plupart des citadins des deux côtes, c’est là une Amérique ennuyeuse à laquelle ils ont décidé une fois pour toutes de tourner le dos. Paysans, «empaqueteurs de viande», «racistes»… Les qualificatifs dont ils affublent les habitants de ces territoires lointains sont en réalité d’autant plus dépréciatifs qu’eux-mêmes, dans ce pays fait de brassages et de déracinements permanents, ont souvent des liens familiaux un peu honteux avec cette Amérique rurale qui les a pourtant façonnés.

Barack Obama et la promesse quasi révolutionnaire qu’incarnait son administration démocrate sont presque déjà du passé ici, sur ces terres qui ne s’en laissent pas conter et qui s’accrochent souvent aux armes à feu aussi fort qu’à un passé mythique. Ou plutôt, c’est comme si le jeune président noir n’était resté qu’un corps étranger, alors qu’il arrivera bientôt à la moitié de son premier mandat.

Les premières réalisations d’Obama, l’assurance santé pour tous, l’aide aux chômeurs, sa quête de meilleurs rapports avec le reste du monde sont perçus ici comme autant de menaces et de dangers. Ses difficultés à ramener la prospérité, ses hésitations sur la politique de l’immigration ou ses positions modérées sur les droits des homosexuels ou sur l’avortement sont au contraire constamment caricaturées par les leaders d’opinion locaux, politiciens, shérifs, hommes d’Eglise, comme pour mieux défendre l’immobilisme.

L’Amérique des petites villes souffre et travaille fort. Mais sa méfiance de l’Etat ne fait pas d’elle une jungle où règne exclusivement la loi du plus fort. Son caractère profondément religieux, notamment, a fait naître parfois des solidarités insoupçonnées, qui font paradoxalement penser au type de société défendu par Obama et les siens. Et, malgré la morosité ambiante et les replis sur soi que provoque l’irruption de l’inconnu, ces villes peuvent connaître, à un degré ou un autre, des innovations importantes, ont lancé des paris sur l’avenir. Même dans le Michigan dévasté par la crise de l’automobile. Même dans le Nebraska, coincé dans la monoculture du maïs. La force de l’Amérique…

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